Abdallah Badis

Comédien - Metteur en scène - Cinéaste

samedi 8 décembre 2012

LE FILS ETRANGER


Notes de réalisation
Le film sera en couleur et en 1/85. Nous le tournerons en HDCam. Je souhaiterais être accompagné dans cette aventure par Claire Mathon, la même chef opératrice qui a fait l’image de mon précédent film Le Chemin Noir, et ceci pour son savoir-faire technique, sa sensibilité artistique mais aussi pour ses qualités humaines qui sont précieuses en tournage ouvert avec des acteurs non professionnels.
Hors le port d’Oran, toutes les images seront tournées dans le territoire des M’Sirda où je suis né, à l’extrême Nord-ouest de l’Algérie.
À l’image, j’interpréterai Omar. Le cimetière final où nous tournerons est celui où sont enterrés mes grands-parents et tous ceux dont je viens. La sœur de Omar sera ma vraie sœur, son père, le mien et les autres personnages à une exception près seront de vraies personnes.
En situation de tournage du Fils étranger, je guetterai ce qui est fragile, je l’espérerai et pour cela, nous serons ouverts à l’imprévu qui j’en suis sûr nous offrira bien mieux, bien plus vrai que ce que j’aurais pu écrire. Les personnages ne sont qu’esquissés dans le synopsis. Les personnes qui seront choisies pour les incarner à l’image le seront parce qu’elles correspondent à ce que je recherche et parce qu’elles connaissent et sauront intimement être ce qui intéresse mon film. Elles n’auront pas besoin de « composer ».                              
Je m’adresserai à un danseur un peu particulier pour habiter le personnage de Lahcène l’égaré. Je l’ai vu danser au théâtre national d’Alger en clôture d’un stage dirigé par Abou Lagraa, le chorégraphe algérien de la compagnie « la baraka ». Avant ce stage il n’avait jamais participé à de la danse contemporaine officielle. Je provoquerai la rencontre entre ce danseur et  la personne qui m’inspire le personnage de Lahcène. Je suis sûr que sans chercher à l’imiter, il saura habiter son propre corps de la douleur et de la frayeur du vrai Lahcène. À l’image, je lui demanderai d’être dans l’économie et la retenue souvent mais sans doute une seule fois en pleine nature, laissant libre cours à son inventivité brute et à cette énergie considérable que j’ai vue se dégager de lui, offrira -t-il une expression dansée fulgurante et sauvage du courage mêlé de désespoir qui peut habiter la jeunesse algérienne.                         
Une voix-off accompagnera le film ; elle sera à la première personne. Ce sera celle d’Omar ou celle de sa sœur. Ce ne sont pas des voix « psychologiques » qui expriment des états d’âme, ou une intelligence de la situation qu’elles accompagnent. Comme on l’a lu dans les exemples donnés dans le traitement, elles disent un moment du passé de ces frères et sœurs, une petite chose qui est restée en marge, en suspens dans leur mémoire. J’imagine les voix-off se poser souvent sur des images rapprochées d’Omar, son corps, son visage, avec un mouvement de caméra à peine sensible comme si on tournait autour lentement pour se glisser dans sa tête et parfois y lire un rêve. Les cadres rapprochés sur le visage de Omar seront rares, ils auront pour fonction de donner des respirations au film, des respirations actives pendant lesquelles le spectateur se fera son histoire en même temps que Omar se demande ce que peuvent bien vouloir dire ces choses qu’ils a vues, ces paroles qu’il a entendues ou ces rêves qu’il a fait. Inutile de chercher sur son visage des marqueurs : étonnement, désespoir, ou espoir. C’est l’importance que son corps occupe dans le cadre qui dira l’état dans lequel il est. Quand il est un point dans l’image, il est perdu.
Dans la séquence du port de Ghazaouet, quand Omar fera la rencontre de ce jeune homme qui vide son sac et dit dans sa logorrhée : «  mon pays, il est là… dans ma tête …», c’est l’emetteur qu’on verra essentiellement, le visage de cet homme qui occupera l’image et on ne reviendra qu’en fin de séquence sur Omar chez qui résonnent les mots de ce jeune homme désespéré et lucide.
Les archives choisies seront essentiellement celles du point de vue algérien, plutôt pause ou marche de combattants qu’images de bataille. Elles n’auront pas la fonction de documents objectifs. La guerre d’Algérie a fait plus d’un million de morts algériens, il y en a eu d’autres bien avant et la récente décennie sanglante a fait deux cent mille victimes. Sous les yeux de Omar, ce sera comme si pendant de petits moments ces morts revivaient devant lui pour qu’il s’imprègne d’eux pendant qu’il avance sur cette terre. Comme si pour l’adopter, cette terre algérienne avait besoin qu’il fasse sien tout ce qu’elle recouvre, ce qu’elle a « dans le ventre », tous ces enfants qu’elle a perdus, toutes ces habitations paysannes que la guerre a brûlées ou rendues désertes…
Je demanderai à l’Ina la possibilité de visionner leurs archives. Je demanderai aussi leur soutien. Leur accompagnement serait précieux tout comme il l’a été pour mon précédent long-métrage.
Il y aura aussi le son, bruit d’hélicoptère, d’avion ou rafales d’armes à feu et même parfois simplement un coup de fusil qu’on entendra dans la nature vierge sans qu’on sache si c’est un souvenir de la guerre d’Algérie passée ou le présent de l’armée algérienne qui traque des islamistes, ou encore un chasseur dans les taillis qui couvrent les collines.
Le son sera tout le temps du film un élément très important puisque Omar qui avance un peu de manière hypnotique est comme aveugle et comme l’aveugle il sera tout ouïe. C’est par exemple le son d’une mobylette qui passe au loin qui pourra faire affleurer tout frais le souvenir de la mobylette d’un grand frère qui emmenait Omar enfant au bord de la Moselle en France ou le bruit d’une tronçonneuse à métal qui rappellera les usines de France où Omar a travaillé. Le son ne sera pas systématiquement en prise directe avec ce que nous verrons à l’image et le sens d’une séquence naîtra souvent du frottement entre image, son et parfois voix-off, chacun de ces éléments ayant sa ligne propre comme des instruments sur une partition.
On entendra sans doute quelques musiques dans le film, ce seront celles que Omar porte en lui, musiques contemporaines d’inspiration très classique comme celle d’Arvo Pärt quand Omar est noyé dans la nature, mais aussi jazz - Art ensemble de Chicago ou Archie Shepp par exemple- quand il y a rencontre avec les harragas, tous ces jeunes gens qui veulent partir mais partir où ?
L’image sera bien plus importante que les paroles. Correspondances rythmiques, visuelles et sonores, tout ce travail que nous ferons au montage exprimeront l’hésitation d’Omar, le sentiment de perte puis plus tard la profonde joie des retrouvailles avec les siens.
Comme on l’a lu, Omar est toujours à pied. Une seule fois on le verra descendre d’une voiture. C’est un taxi jaune qui l’aura déposé devant la sorte de forteresse qu’est devenue la maison où il est né et où il rencontrera son vieil oncle et sa tante. Au montage, nous ferons en sorte que le passage de ces taxis jaunes sur ces routes qui tournent soit ressenti comme une menace. C’est bien une de ces mêmes voitures qu’Omar a vue alors qu’il quittait la ville portuaire au début du film. Elle transportait un cercueil et semblait habitée de fantômes. Ces voitures qui rodent, c’est comme si c’était lui qu’elles cherchaient, comme un prédateur, sa proie. Métaphore de cette peur qu’a sans doute Omar, peur de la rencontre des siens vers laquelle il avance, de ce qu’elle va provoquer en lui, peur d’y laisser sa peau et d’être lui aussi transporté comme un cadavre. Peur de passer « de l’autre côté » et de ne plus retrouver le chemin pour revenir à la vie qu’il a quittée en France. Nous ferons en sorte ma monteuse et moi que cela soit léger, que cela puisse effleurer l’esprit du spectateur sans plus. Mais ce dernier aura d’autres raisons d’imaginer que ce voyage est une traversée, un passage « au pays des morts ». En effet le cimetière familial est désert quand Omar y arrive la première fois. Quand il le retrouvera plus tard, il sera très peuplé, son père sera là, sa sœur aussi, figure tragique, habillée en noir, des cavaliers comme ceux de l’Emir Abd El Kader et cette musique qui provoque la transe. De quel côté sera-t-on ?
La narration emprunte au conte. C’est le pays et son Histoire qui viennent à Omar, qui se découvrent à lui. Omar est déplacé plus qu’il ne se déplace comme si ce voyage était un rêve qu’il fait ou plutôt qu’aurait fait naître en lui Amina, la petite fée du conte. Pour autant Amina ne sera pas un personnage hiératique. Elle sera très réelle, rira, jouera comme les enfants le font et pourtant c’est bien elle que nous découvrirons veillant sur le sommeil de Omar, faisant pour lui ce qu’il n’a pas fait, visiter la tombe de sa mère. C’est Amina qui lui mettra une tortue dans la main comme un animal qui apaise, comme pour dire avance sans crainte, tu es sur le bon chemin.  Amina pourra être perçue comme les yeux de la nature algérienne qui couvent ce fils qui revient, mais aussi comme les yeux de Fatima, cette sœur dont on ne saura si elle est vivante ou morte.
C’est une histoire de terre dont il s’agit. Les paysages où nous tournerons sont à deux pas de la mer. Mais nous cadrerons de manière à ce que le ciel bleu d’Algérie et la mer soient bord-cadre ou évacués autant que possible de celui-ci. La mer qui aura occupé tout l’écran au tout début du film, nous ne la reverrons qu’à la toute fin pour ce qui sera son épilogue. La nature algérienne s’est mise sur son « trente et un » pour la venue de son fils. Elle est rugueuse et belle, comme vierge : étendues d’herbes sauvages, rochers, arbres, fleurs, animaux, sous une lumière douce de printemps. Le spectateur sera libre d’imaginer que ce berger qui attrape un agneau pour le jucher sur ses épaules et le ramener au troupeau est peut-être Jason, le Jason en quête de la toison d’or.

2 commentaires:

  1. Bonne chance pour ce projet qui semble passionnant !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci de votre encouragement. Vous trouverez photos, textes et autres petites choses sur la page Facebook de la production:
      https://www.facebook.com/cactuscofilms.
      bien à vous.

      Supprimer