Notes
de réalisation
Le film sera en couleur et en 1/85. Nous le tournerons en HDCam.
Je souhaiterais être accompagné dans cette aventure par Claire Mathon, la même
chef opératrice qui a fait l’image de mon précédent film Le Chemin Noir, et ceci pour son savoir-faire
technique, sa sensibilité artistique mais aussi pour ses qualités humaines qui
sont précieuses en tournage ouvert avec des acteurs non professionnels.
Hors le port d’Oran, toutes les images seront tournées dans le
territoire des M’Sirda où je suis né, à l’extrême Nord-ouest de l’Algérie.
À l’image, j’interpréterai Omar. Le cimetière final où nous
tournerons est celui où sont enterrés mes grands-parents et tous ceux dont je
viens. La sœur de Omar sera ma vraie sœur, son père, le mien et les autres
personnages à une exception près seront de vraies personnes.
En situation de tournage du Fils étranger, je guetterai ce
qui est fragile, je l’espérerai et pour cela, nous serons ouverts à l’imprévu
qui j’en suis sûr nous offrira bien mieux, bien plus vrai que ce que j’aurais
pu écrire. Les personnages ne sont qu’esquissés dans le synopsis. Les personnes
qui seront choisies pour les incarner à l’image le seront parce qu’elles
correspondent à ce que je recherche et parce qu’elles connaissent et sauront intimement
être ce qui intéresse mon film. Elles n’auront pas besoin de
« composer ».
Je m’adresserai à un danseur un peu particulier pour habiter le
personnage de Lahcène l’égaré. Je l’ai vu danser au théâtre national d’Alger en
clôture d’un stage dirigé par Abou Lagraa, le chorégraphe algérien de la
compagnie « la baraka ». Avant ce stage il n’avait jamais participé à
de la danse contemporaine officielle. Je provoquerai la rencontre
entre ce danseur et la personne
qui m’inspire le personnage de Lahcène. Je suis sûr que sans chercher à
l’imiter, il saura habiter son propre corps de la douleur et de la frayeur du
vrai Lahcène. À l’image, je lui demanderai d’être dans l’économie et la retenue
souvent mais sans doute une seule fois en pleine nature, laissant libre cours à
son inventivité brute et à cette énergie considérable que j’ai vue se dégager
de lui, offrira -t-il une expression dansée fulgurante et sauvage du courage
mêlé de désespoir qui peut habiter la jeunesse algérienne.
Une voix-off accompagnera le film ; elle sera à la première
personne. Ce sera celle d’Omar ou celle de sa sœur. Ce ne sont pas des voix
« psychologiques » qui expriment des états d’âme, ou une intelligence
de la situation qu’elles accompagnent. Comme on l’a lu dans les exemples donnés
dans le traitement, elles disent un moment du passé de ces frères et sœurs, une
petite chose qui est restée en marge, en suspens dans leur mémoire. J’imagine
les voix-off se poser souvent sur des images rapprochées d’Omar, son corps, son
visage, avec un mouvement de caméra à peine sensible comme si on tournait
autour lentement pour se glisser dans sa tête et parfois y lire un rêve. Les
cadres rapprochés sur le visage de Omar seront rares, ils auront pour fonction
de donner des respirations au film, des respirations actives pendant lesquelles
le spectateur se fera son histoire en même temps que Omar se demande ce que
peuvent bien vouloir dire ces choses qu’ils a vues, ces paroles qu’il a
entendues ou ces rêves qu’il a fait. Inutile de chercher sur son visage des
marqueurs : étonnement, désespoir, ou espoir. C’est l’importance que son
corps occupe dans le cadre qui dira l’état dans lequel il est. Quand il est un
point dans l’image, il est perdu.
Dans la séquence du port de Ghazaouet, quand Omar fera la
rencontre de ce jeune homme qui vide son sac et dit dans sa
logorrhée : « mon pays, il est là… dans ma tête …», c’est l’emetteur
qu’on verra essentiellement, le visage de cet homme qui occupera l’image et on
ne reviendra qu’en fin de séquence sur Omar chez qui résonnent les mots de ce
jeune homme désespéré et lucide.
Les archives choisies seront essentiellement celles du point de
vue algérien, plutôt pause ou marche de combattants qu’images de bataille. Elles
n’auront pas la fonction de documents objectifs. La guerre d’Algérie a fait
plus d’un million de morts algériens, il y en a eu d’autres bien avant et la
récente décennie sanglante a fait deux cent mille victimes. Sous les yeux de
Omar, ce sera comme si pendant de petits moments ces morts revivaient devant
lui pour qu’il s’imprègne d’eux pendant qu’il avance sur cette terre. Comme si
pour l’adopter, cette terre algérienne avait besoin qu’il fasse sien tout ce
qu’elle recouvre, ce qu’elle a « dans le ventre », tous ces enfants
qu’elle a perdus, toutes ces habitations paysannes que la guerre a brûlées ou
rendues désertes…
Je demanderai à l’Ina la
possibilité de visionner leurs archives. Je demanderai aussi leur soutien. Leur
accompagnement serait précieux tout comme il l’a été pour mon précédent
long-métrage.
Il y aura aussi le son,
bruit d’hélicoptère, d’avion ou rafales d’armes à feu et même parfois
simplement un coup de fusil qu’on entendra dans la nature vierge sans qu’on
sache si c’est un souvenir de la guerre d’Algérie passée ou le présent de
l’armée algérienne qui traque des islamistes, ou encore un chasseur dans les
taillis qui couvrent les collines.
Le son sera tout le temps du
film un élément très important puisque Omar qui avance un peu de manière
hypnotique est comme aveugle et comme l’aveugle il sera tout ouïe. C’est par
exemple le son d’une mobylette qui passe au loin qui pourra faire affleurer
tout frais le souvenir de la mobylette d’un grand frère qui emmenait Omar
enfant au bord de la Moselle en France ou le bruit d’une tronçonneuse à métal
qui rappellera les usines de France où Omar a travaillé. Le son ne sera pas
systématiquement en prise directe avec ce que nous verrons à l’image et le sens
d’une séquence naîtra souvent du frottement entre image, son et parfois
voix-off, chacun de ces éléments ayant sa ligne propre comme des instruments
sur une partition.
On entendra sans doute quelques musiques dans le film, ce seront
celles que Omar porte en lui, musiques contemporaines d’inspiration très classique
comme celle d’Arvo Pärt quand Omar est noyé dans la nature, mais aussi jazz -
Art ensemble de Chicago ou Archie Shepp par exemple- quand il y a rencontre
avec les harragas, tous ces jeunes gens qui veulent partir mais
partir où ?
L’image sera bien plus
importante que les paroles. Correspondances rythmiques, visuelles et sonores,
tout ce travail que nous ferons au montage exprimeront l’hésitation d’Omar, le
sentiment de perte puis plus tard la profonde joie des retrouvailles avec les
siens.
Comme on l’a lu, Omar est
toujours à pied. Une seule fois on le verra descendre d’une voiture. C’est un
taxi jaune qui l’aura déposé devant la sorte de forteresse qu’est devenue la
maison où il est né et où il rencontrera son vieil oncle et sa tante. Au montage,
nous ferons en sorte que le passage de ces taxis jaunes sur ces routes qui
tournent soit ressenti comme une menace. C’est bien une de ces mêmes voitures
qu’Omar a vue alors qu’il quittait la ville portuaire au début du film. Elle
transportait un cercueil et semblait habitée de fantômes. Ces voitures qui
rodent, c’est comme si c’était lui qu’elles cherchaient, comme un prédateur, sa
proie. Métaphore de cette peur qu’a sans doute Omar, peur de la rencontre des
siens vers laquelle il avance, de ce qu’elle va provoquer en lui, peur d’y
laisser sa peau et d’être lui aussi transporté comme un cadavre. Peur de passer
« de l’autre côté » et de ne plus retrouver le chemin pour revenir à
la vie qu’il a quittée en France. Nous ferons en sorte ma monteuse et moi que
cela soit léger, que cela puisse effleurer l’esprit du spectateur sans plus.
Mais ce dernier aura d’autres raisons d’imaginer que ce voyage est une
traversée, un passage « au pays des morts ». En effet le cimetière
familial est désert quand Omar y arrive la première fois. Quand il le
retrouvera plus tard, il sera très peuplé, son père sera là, sa sœur aussi,
figure tragique, habillée en noir, des cavaliers comme ceux de l’Emir Abd El
Kader et cette musique qui provoque la transe. De quel côté sera-t-on ?
La narration emprunte au
conte. C’est le pays et son Histoire qui viennent à Omar, qui se découvrent à
lui. Omar est déplacé plus qu’il ne se déplace comme si ce voyage était un rêve
qu’il fait ou plutôt qu’aurait fait naître en lui Amina, la petite fée du conte.
Pour autant Amina ne sera pas un personnage hiératique. Elle sera très réelle,
rira, jouera comme les enfants le font et pourtant c’est bien elle que nous
découvrirons veillant sur le sommeil de Omar, faisant pour lui ce qu’il n’a pas
fait, visiter la tombe de sa mère. C’est Amina qui lui mettra une tortue dans
la main comme un animal qui apaise, comme pour dire avance sans crainte, tu es
sur le bon chemin. Amina pourra
être perçue comme les yeux de la nature algérienne qui couvent ce fils qui
revient, mais aussi comme les yeux de Fatima, cette sœur dont on ne saura si
elle est vivante ou morte.
C’est une histoire de terre
dont il s’agit. Les paysages où nous tournerons sont à deux pas de la mer. Mais
nous cadrerons de manière à ce que le ciel bleu d’Algérie et la mer soient
bord-cadre ou évacués autant que possible de celui-ci. La mer qui aura occupé
tout l’écran au tout début du film, nous ne la reverrons qu’à la toute fin pour
ce qui sera son épilogue. La nature algérienne s’est mise sur son « trente
et un » pour la venue de son fils. Elle est rugueuse et belle, comme
vierge : étendues d’herbes sauvages, rochers, arbres, fleurs, animaux,
sous une lumière douce de printemps. Le spectateur sera libre d’imaginer que ce
berger qui attrape un agneau pour le jucher sur ses épaules et le ramener au
troupeau est peut-être Jason, le Jason en quête de la toison d’or.
Bonne chance pour ce projet qui semble passionnant !
RépondreSupprimermerci de votre encouragement. Vous trouverez photos, textes et autres petites choses sur la page Facebook de la production:
Supprimerhttps://www.facebook.com/cactuscofilms.
bien à vous.