Puisque Coupe d'Europe, affaire Benzema, Ben Arfa pas dans la sélection, on nous ressert l'histoire de la marseillaise etc,
ces petites notes prises en 2006 pour accompagner le travail d'où naîtrait mon premier film Le chemin Noir. France, Algérie et football, c'est toute une histoire.
Par
la fenêtre me parvient un bruit de ballon. Ce sont deux
enfants, dix, douze ans qui jouent sur un vrai terrain de foot.
J’ai joué au foot quand j’étais gamin sur des terrains
bosselés, tordus, tantôt demi gauche tantôt ailier. Trop frêle
pour faire arrière et puis les Algériens étaient redoutés parce
qu’ils marquaient des buts alors on me mettait vers l’avant. Pour
les matchs comme pour les guerres, on met toujours certains plus que
d’autres devant. Monte, tire au but ! Monte Cassino !
L’équipe
des Algériens gagnait presque tout le temps la coupe dans les
tournois inter-services de l’usine. Les Algériens bossaient en
enfer, mais ils gagnaient la coupe et ne l’emmenaient pas à la
maison. Quelle maison? Leur maison! une baraque à
quarante au "Camp Russe". Où la mettraient-ils cette Coupe argentée, quand on
a si peu de place dans la turne que tous les vêtements tiennent dans une seule
valise glissée sous son lit dans la chambrée et qu’on ne
peut pas faire autrement.
Rachid Mekhloufi,
un Oranais, roi du stade à St Etienne, tous les ouvriers algériens
avaient sa photo épinglée au-dessus de leur lit.
Stade de
Colombes, finale de la coupe de France : FC Toulouse —SCO
Angers, 6-3, les « frères » ont dansé sur le terrain
comme des chats. Ils ont donné le tournis à la défense du SCO et
marqué deux des six buts de Toulouse. Et de quelle manière !
Tous les Arabes de France pouvaient vous dire leurs noms, Bouchouk et
Brahimi, le nom de ces Algériens, les dieux de la Finale, des pieds
magiques, un beau match, un public heureux, du peuple, le monde
ouvrier. Les sidis buteurs du match de Coupe, des vrais sidis – en
arabe, ça veut dire Monsieur, sont les idoles des vainqueurs de
coupe du tournoi de l’Usine. Et ce jour là en 1957, j’étais
trop petit, on me l’a raconté , le Bachagha Boualem était
installé à la tribune d’honneur, à côté du président de la
République. Le Bachagha, représentant « pour du beurre »
des musulmans d‘Algérie, regarde le match, Dans les hourras qui
accompagnent le but de la victoire, il est abattu dans le stade de
Paris par des tireurs du F L N. Des ouvriers, de simples manœuvres,
comme ceux des chambrées, ceux des vallées de Lorraine, installés
en France mais valise sous le lit, comme prêts à repartir. Mais on
ne repart que si on a fait fortune, un peu fortune, avec plusieurs
valises et quand même quelques cadeaux au moins. En France, on ne
ramassait pas l’or à la pelle. Ils ne sont pas repartis. On ne
pouvait pas les voir. Ils sont devenus invisibles, fantômes
vivants, tous sous le nuage, dans la nuit.
Juin 2006