Abdallah Badis

Comédien - Metteur en scène - Cinéaste

dimanche 27 décembre 2009

Le Chemin Noir

Un film de Abdallah Badis
(sortie salle en 2010)
résumé:

De la campagne française aux paysages sidérurgiques sinistrés de Lorraine, "Une vie française" traverse la France d’aujourd’hui et celle d’hier ; l’enfance enfouie renaît et avec elle son cortège de fantômes : les vieux Arabes invisibles, le métal en fusion et l’usine disparue.
90 minutes, HD
RPCA 120.776
Image
Claire MATHON
Son
Nicolas WASCHKOWSKI
Arnaud JULIEN
Montage
Sophie MANDONNET
montage son,
mixage et enregistrements
Myriam RENÉ
assistée de Séverine RATIER
musique originale
Archie SHEPP
assistante mise en scène
Gabrielle SCHAFF

scénario et réalisation
Abdallah BADIS
produit par
Christophe DELSAUX et Céline MAUGIS

En coproduction avec l’INA
Avec la participation de
Région Lorraine
Région Ile de France
Région Limousin
Département de Meurthe et Moselle
Ardèche Images - l’École du doc’
& les Rencontres de Lavilledieu
CNC,
Fonds Images pour la diversité
Aide à l’écriture & au développement
ACSE

seconds assistants

Creuse: Isabelle ROUSSEAU
Lorraine: M'Hamed DOURGUENI
musique originale
interprétée par
Archie SHEPP (saxophone et voix)
Denis COLIN (clarinette basse) Jean claude ANDRÉ (trompette)
Ravy MAGNIFIQUE ((percussions) Peter GIRON (contrebasse)
Ronnie LYNN (piano) et Margot VARRET (harpe)

La Vie est belle Films associés

Le chemin noir de Abdallah Badis

Un autre de nos longs métrages qui se termine, Le chemin noir. Un beau film... (lire la suite)


samedi 26 décembre 2009

La passerelle de l’aciérie




Mon père vient d’acheter un « tub » Citroën d’occasion, on est en 1972 et le déménagement familial au bled se prépare. Ils partiront, je resterai.
J’ai à peine plus de dix-huit ans, il est quelques minutes avant six heures du matin, l’air est glacial dehors et l’on m’attend sur la passerelle de l’aciérie. Je me souviens de ce couloir brûlant, un souterrain qu’il me fallait traverser la peur au ventre pour rejoindre mon poste de travail. C’était sous la gueule des convertisseurs. Il y avait toutes ces personnes que j’y croisais et pour qui c’était l’ordinaire. Des Arabes condamnés à rester en bas, dans la crasse de l’usine, menacés par le métal en fusion qui se déversait au-dessus d’eux. Frêles silhouettes entre les wagons chargés de lave qu’ils accrochaient, la moindre inattention pouvait leur être fatale. Ces ouvriers dormaient pour la plupart dans ce qu’on appelait des foyers, pauvres baraques ou chambres misérables. Mon père avait vécu cela avant de nous faire venir. Invisibles aux yeux des « Européens », les Arabes de l’usine vivaient une vie silencieuse, entre eux. Il en mourait aussi sans bruit. Celui qui allait tomber dans une poche de fonte et dont la vie allait se dissoudre, le sachant aurait-il été en colère? Il aurait été plutôt déçu, ou ni colère ni déception. Il était là sans vraiment savoir pourquoi ni comment. Nourri d’illusions, il se taisait. Il rêvait d’ailleurs, son pays, où il reviendrait un jour. Les chansons de l’immigration parlaient de lui et pour lui : « Le hmam li rabbitou em’cha ‘aliyya… » (la colombe que j’ai élevée s’est éloignée de moi…).
Berger illettré, habillé de rien et qui n’avait pour paysage que les quelques bêtes qu’il faisait paître et l’horizon paisible, on lui avait parlé de la France et l’idée de la France s’était mise à le ronger comme un ver. Recruté pour le feu de la sidérurgie, il a quitté l’Algérie sans regret, découvert le luxe du costume frais et le jour de repos. Il a économisé sur l’argent qui lui restait après avoir envoyé le mandat, pour acheter bientôt une Vespa et un beau chapeau, comme tous les autres jeunes. Sacha Distel le chantait à la radio.
Et plus le temps est passé, plus le présent lui est devenu étranger, plus le bled, cet ailleurs natal, lui est devenu étranger et plus il est devenu étranger à lui-même.

Mon père a échappé au signe indien. Il est rentré « chez lui ».