Abdallah Badis

Comédien - Metteur en scène - Cinéaste

lundi 28 mai 2012

Être chez soi chez les autres

émotions sans concession.
 La vraie insolence d’Abdallah Badis, c’est sa tranquille absence d’insolence. Du bricolage d’une 404, il est bien joliment question dans son premier film, Le Chemin noir. Ce documentaire entre campagne et sites sidérurgiques sinistrés de Lorraine est sorti à Paris à l’Espace Saint Michel où l’on applaudissait encore il y a quelques semaines Sur la planche de Leïla Kilani, merveilleuse réussite de fiction documentée où la vie et les rêves de jeunes ouvrières trépignent entre tendresse et dureté. Abdallah Badis y va, lui aussi, de sa prouesse en jouant son propre rôle d’Algérien ayant passé l’essentiel de son existence en France et méditant sur ses origines et les courages des siens. Des chibanis lui racontent leur carrière et tout ce petit monde apaisé, rieur ou mélancolique s’affaire à réparer une vieille 404.  La leçon du Chemin noir ? On n’est jamais mieux qu’en se respectant les uns les autres, en s’écoutant, en se faisant entendre, en contribuant à ce que les plaies des nations et des hommes cautérisent et à ce que poussent les fleurs et les enfants.  Il y a dans ce film d’Abdallah Badis tout ce que la maturité apporte à un artiste, cette humilité et cette fidélité manifeste à ce qui demeure la meilleure boussole de l’être : la nécessité intérieure. Dans Le Chemin noir, on est immergé dans le respect de la mémoire ouvrière franco-maghrébine, loin des miasmes de la xénophobie et des errements du repliement sur soi.  Ainsi, Abdallah Badis a-t-il réussi à forger les images et les paroles de l’amicalité franco-maghrébine sans faire l’impasse sur les jours tragiques, quand le couvre-feu couvait des noyades d’innocents.  La question n’est pas tant de considérer bien hâtivement qu’on n’est jamais mieux que chez les autres. Sans doute ne serait-on jamais mieux qu’en accord avec le monde, pourvu que celui-ci acceptât d’être envisagé, ô surprise, comme l’allié de tous.
Salim Jay- Le Soir-échos. Maroc

vendredi 25 mai 2012

Le Chemin Noir Offertorium

Florange, ArcelorMittal, solidarité ouvrière, sidérurgie lorraine, la fin d'un monde ?
Au tout début du travail sur le film "Le Chemin Noir", il y avait ce brassage d'archives et d'images tournées dans les lieux, sous forme de ciné-poème.

lundi 21 mai 2012

le dernier coquelicot

Noir le chemin

... Que dire de plus pour faire comprendre que l’émotion l’emporte pour un bout de temps, et que l’on se réveille, marche dans la rue ou prend un petit café en songeant à ce film? On dirait toujours avec les critiques qu’on peut facilement passer à un autre film parce qu’après tout, le temps passe et les films se suivent. Comment faire alors pour témoigner davantage d’empathie pour ce film? L’envie irrésistible d’aller serrer la main du réalisateur le plus chaleureusement possible et de lui dire que toutes ces inventions nous touchent ne suffirait pas. Une correspondance est tentée sur Critikat, Aragon est cité en parallèle du film, pour faire apparaitre toutes les césures que le film porte en lui comme autant de micro chocs du temps qui s’enfuit... (lire la suite)

vendredi 18 mai 2012

OUVERT LA NUIT - France Inter

... un étrange objet cinématographique brouillant la carte des genres établis...  Alexandre Heraud     
écouter l'extrait d'émission sur:
http://soundcloud.com/abdallahbadis/ouvert-la-nuit-france-inter

vendredi 11 mai 2012

Mémoire de lumière et d’ombre

C’est un des débuts de film les plus étranges et beaux qu’on ait vus. Cette petite semeuse de feuilles mortes à travers la forêt, quel sentier invente-t-elle ? Cet enfant qui accomplit de simples rituels, quelle quête mène-t-il ? Le Chemin noir n’y répondra pas, du moins pas littéralement, mais cette ébauche de conte un peu inquiétante affirme d’emblée ce qui sera une constante de la projection : l’exceptionnelle beauté des images. Cette beauté est l’un des signes les plus évidents de l’état affectif dans lequel entend nous plonger Abdallah Badis. Evocation du présent de la région d’Hagondange, zone industrielle massacrée, invocation de ceux qui ont vécu, travaillé, souffert, et dont beaucoup sont morts, immigrés algériens de la génération du père du cinéaste exploités à mort au temps de la guerre d’Algérie et depuis, désormais vieux messieurs aux relations compliquées avec deux pays si différents et si peu confortables, le bled où ils retournent peu ou pas, sinon s’y faire enterrer, la Lorraine dévastée par le chômage. Badis suit des sentiers qui bifurquent, dans les bois, dans la mémoire, dans les archives filmées, dans les paroles quotidiennes, le plus souvent joueuses, blagueuses, malgré les douleurs et les chagrins.  On se retrouve autour d’une vieille 404, capot ouvert, hommes qui discutent savamment, rires, souvenirs, bricolage de la mécanique, de la symbolique. Ça démarre, ça démarre pas. La lumière est belle comme dans chez Douglas Sirk. Badis lui-même est là, fils d’ouvrier devenu homme de théâtre et de cinéma, physique de star. Il met les mains dans le cambouis, il met les pieds dans les traces de ses promenades d’enfant. Il écoute les uns et les autres, les vieux et les jeunes, les fantômes et les ombres. Fidèlement accompagné du saxophone d’Archie Shepp, qui est à lui seul une formidable machine à voyager dans les planètes du rêve, de la révolte et de la tendresse, le réalisateur mettra même en scène une rencontre impossible entre lui aujourd’hui et son père jadis. Impossible ? Pas au cinéma, pas quand le cinéma devient ainsi invention d’un espace-temps où les émotions des humains reconfigureraient les lois de la nature, les séparations entre passé et présent, entre là-bas et ici. Certains appellent cela poésie. Jean Michel Frodon -blog.slate.fr/-

LES INROCKS - Essai poétique et buissonnier, un film précieux

Balade poétique en lorraine, à travers la mémoire des Maghrébins employés dans la sidérurgie. Un essai poétique et buissonnier dans lequel Abdallah Badis, fils d" ouvrier sidérurgiste en Lorraine, ayant suivi la même voie avant de devenir comédien et metteur en scène de théâtre, évoque in situ son enfance et la noria des immigrés algériens venus dans la région pour échapper à la misère. Le film suit des chemins détournés, jouant avec les hasards concertés pour faire resurgir la mémoire, celle d'un peuple déraciné et exploité, et celle d'une famille issue de ce peuple. Le fil rouge de ce documentaire mis en scène, où les paroles sont vraies mais où Les situations sont inventées, est la réparation d'une 404 Peugeot. auto symbole de l'immigration maghrébine, trophée de la réussite sociale brandi par les expatriés de retour au bled. Le cinéaste, qui est aussi le protagoniste principal, rencontre un homme dont la 404 est en panne. La voiture devient prétexte à des rencontres et à des discussions entre anciens ouvriers sidérurgistes. Parallèlement, Badis arpente les chemins (noirs) de son enfance, traverse les friches industrielles, y retrouve des fantômes ou les invoque. Une usine désaffectée abrite une salle de boxe. Un autre de ces lieux est devenu un casino, dont le cinéaste affuble les passants de masques inquiétants de Mickey. Une promenade mélancolique où l'on rappelle des souvenirs précis, corroborés par des images d'archives, et aussi où l'on décale la réalité. Un de ces films précieux à la croisée des genres et des catégories; très loin du documentaire brut de décoffrage mais aussi de la fiction romanesque. Celle remémoration en douceur, qu'on pourrait qualifier de proustienne pour simplifier, est une sorte d'élégie, un tombeau, au sens littéraire, où l'on célèbre avec une mélancolie mêlée de nostalgie le sacrifice des Algériens devenus chair à canon de la sidérurgie. Vincent Ostria -les inrockuptibles-

LIBERATION - Le côté obscur de la forge

Critique Libération |e 8 mai 2012 Par OLIVIER SEGURET.

En principe, tout film devrait pouvoir répondre à cette question, posée à son metteur en scène : pourquoi filmez-vous ? Mais dans la réalité, de nombreux films ne donnent aucune idée de ce qui profondément les motive, aucun indice sur leur nécessité réelle. Avec le Chemin noir, c’est l’inverse. Le film anticipe d’emblée toutes les questions ayant trait à son existence et semble exprimer par tous ses plans la vérité profonde d’un cinéaste nous confessant «pourquoi je filme». Abdallah Badis filme pour sauver sa peau, son âme, son honneur d’humain. Son Chemin noir est un documentaire personnel et poétique, qui s’en va sillonner la Lorraine fantôme de la houille, de la sidérurgie et des hauts fourneaux, en cherchant sur ces terres d’abandon et de friche la trace de ceux qui, autrefois, vivaient et travaillaient là.
Jazz. Le cœur de son sujet, ce sont ces vieux Arabes exilés qu’il filme avec rigueur et discrétion. Leur trajectoire fait songer à celle de petites météorites jadis tombées du ciel, éclats solitaires et éparpillés que Badis voudrait réunir en collier, afin de redonner aussi leur dimension collective, historique, solidaire à ces destins uniques et souvent abîmés. Pour arpenter son chemin, Badis voyage léger. Il n’a emporté que le strict minimum dans son baluchon : pas de grands effets, lumière naturelle, son direct. Le seul luxe de ce film, c’est sa musique : les nappes sporadiques que répand le saxo d’Archie Shepp, qui donnent à ce parcours une mélancolie jazz plutôt bien adaptée. S’il répond à certaines conventions du documentaire (récit en voix off, entretiens, repères historiques et même quelques images d’archives), le film flirte régulièrement avec une forme étrange de fiction, proche de ce que la littérature appelle l’autofiction, mais sans le moindre de ce narcissisme dont on accuse parfois le genre. Badis évoque son enfance et particulièrement son père dans un registre qui emprunte à la fois à la réminiscence sensorielle et à la confusion des sentiments.
Ring. Chemin faisant, Badis recueille ses témoignages auprès d’anciens de la sidérurgie lorraine ou parmi leurs enfants, ces Français entre deux chaises auxquels le réalisateur, frère de sort, s’identifie. On lit bien sûr dans ces échanges la même éternelle cicatrice qui déchire l’Algérie et la France, même si c’est de façon transposée et tout de même plus apaisée chez les générations présentes. Entre jeunes et anciens, le fil paraît plutôt solide même s’il est distendu par les différences culturelles ineffaçables. Une Peugeot 404 fait l’objet d’une scène-vignette, valant pour signifier toute une époque vintage. Plus tard, un ring où s’entraînent de jeunes boxeurs d’aujourd’hui nous rappelle à la permanence, et à la dureté, des déterminismes sociaux. Ainsi, progressivement, sous son langage très personnel et presque privé, c’est plus largement à une expérience universelle de l’exil, à une réflexion poétique, analogique et musicale sur le sort d’individus qui ont été désunis par l’histoire, que le Chemin noir, dans sa noble modestie, nous invite.

CRITIKAT- Route One / Meurthe-et-Moselle

Noir de suie et de charbon, ou bien noir d’une nuit d’encre et de contes, Le Chemin noir qu’emprunte Abdallah Badis dans son premier long-métrage* évite habilement les ornières du film social ou du débat identitaire. Fruit de dix ans d’écriture, de rencontres, de galères et de recherche de financements, ce road-movie dans les contrées de l’enfance du cinéaste, entre l’Algérie fantomatique et les vallées industrielles de Lorraine, emprunte à la fable plutôt qu’au pamphlet. De forêts enchantées en cimetières d’usines, Abdallah Badis compose un paysage mémoriel où se côtoient une histoire franco-algérienne des Trente Glorieuses et les mille et une vies des ouvriers immigrés qui en furent les acteurs anonymes. Un chemin de feuilles mortes sur la mousse du sous-bois, des enfants sauvages pareils à des lutins, le craquement de branches dans le feu… C’est un tableau onirique qui ouvre Le Chemin noir. Guidé par une sorte de Petit Poucet, le cinéaste-voyageur s’engage sur les sentiers de son passé. Suivant le doigt de l’enfant qui trace le chemin sur une photographie jaunie, ce road-movie à travers les routes sinueuses de sa mémoire est bien moins une quête de soi qu’un dialogue secret entre le fils et le père, ou plutôt tous ces pères, venus d’Algérie pour nourrir les bouches des aciéries et des mines françaises dans les années 1950. Entre ses propres souvenirs et une histoire d’ouvriers qui triment, le cinéaste compose un trajet original, d’une rare acuité dans le cinéma documentaire. Échos aux épisodes d’une histoire franco-algérienne, il égraine en voix-off des dates comme autant de petits cailloux jetés sur le chemin de sa mémoire : 1954, l’arrivée en France ; 1961, il a huit ans et joue au fellagha dans la poussière de la cimenterie, tandis que la police interroge son père sur son fils aîné, un FLN de France ; 1972, il a dix-huit ans et on l’attend sur la passerelle de l’aciérie… Tournées dans un paysage aux airs de cimetière d’éléphants, avec ses carcasses d’usines démantelées, squelettes hirsutes au milieu d’une nature qui reprend ses droits, les images de Claire Mathon, sa directrice de la photographie, offrent un contre-champ fascinant aux archives de l’INA. Giclées d’étincelles, fourneaux éructant, bouches d’usine vomissant leur lot quotidien d’ouvriers noirs de suie… Toute une imagerie à la gloire de l’industrie fumante et florissante des années soixante semble, dans ce montage alterné, rendue au silence d’un paysage de fin du monde. À la mélancolie des ruines, Abdallah Badis préfère pourtant la poésie d’une nature indomptable : un bestiaire surréaliste de cris d’animaux et les fulgurances du saxophone d’Archie Shepp composent la bande son de son voyage. Loin de céder à un lyrisme nostalgique, le film s’engage sur une voie presque burlesque, avec son voyageur aux faux airs d’Elia Suleiman, posant sur le monde un regard à la fois curieux et incrédule. Arrivé dans une ville-témoin au milieu de nulle part, il erre dans un zoo humain où chacun est affublé d’un masque de Mickey et où les thermes en stuc s’appellent « Villa Pompéi ». Comme un promeneur multipliant les détours, le cinéaste interrompt son voyage au gré des rencontres. Mohammed et sa 404 en panne l’amènent jusqu’à un foyer de travailleurs immigrés où les Chibanis aux articulations aussi fatiguées que le moteur de la vieille Peugeot siègent en se remémorant le passé, pareils à une assemblée de sages sous le pâle soleil de Lorraine. Au-dessus du capot de la 404, chacun énonce son diagnostic et ses souvenirs. On démonte le moteur et on exhume des histoires anciennes. Venu du cirque et du mime, Abdallah Badis a fait ses classes de cinéma aux ateliers Varan et à l’École du Doc’ de Lussas. Il cite volontiers Abbas Kiarostami et Robert Kramer comme des modèles. La construction du Chemin noir suit un fil narratif plus ténu et poétique que celui de la chronique historique ou du film à sujet, déroulant un récit autobiographique en forme de road-movie semé de rencontres et de visions oniriques. Sans doute doit-elle beaucoup à ces deux auteurs. Sur ce chemin d’errance entre fable millénaire et rêve d’enfant, on songe aussi aux mots d’Aragon **: « Passe ton doigt sur ta tempe 
Touche l’enfance de tes yeux 
Mieux vaut laisser basses les lampes 
La nuit plus longtemps nous va mieux 
C’est le grand jour qui se fait vieux Les arbres sont beaux en automne 
Mais l’enfant qu’est-il devenu 
Je me regarde et je m’étonne 
De ce voyageur inconnu 
De son visage et ses pieds nus ».
 Alice Leroy Critikat.com
** Louis Aragon, « J’arrive où je suis étranger », Le Voyage de Hollande (Seghers, 1964).

LE MONDE - En 404 au royaume des prolétaires

Quelque part entre le conte, la lettre et l'enquête intime, voici un film dont on sent, avant toute chose, qu'il ne ment pas. Le Chemin noir, auquel fait référence le titre, c'est celui que l'auteur emprunte pour relier l'homme qu'il est aujourd'hui, documentariste et acteur de cinéma, et l'enfant qu'il était hier. Fils d'immigrés algériens, Abdallah Badis a été, comme son père, ouvrier dans les usines sidérurgiques de Lorraine, avant qu'une rencontre salutaire avec René Allio ne le conduise à changer de voie. Mais ce n'est pas sa vie de cinéaste qu'il évoque ici. Du personnage qu'il interprète dans le film, on ne connaît pas l'état civil. L'homme apparaît pour la première fois à l'image alors qu'il est à la campagne, dans son jardin, et que la sonnerie du téléphone l'attire à l'intérieur. Au bout du fil, son père, depuis l'Algérie, évoque d'une voix triste, fatiguée, la distance qui les sépare, la vieillesse qui le gagne, les années qui n'en finissent pas de les éloigner. C'est le point de départ, l'impulsion mélancolique qui jette le personnage sur la route, et va vite le conduire à en sortir. Une vieille 404 qui tombe en panne, et le voilà remorqué dans un sous-bois où il se retrouve entouré d'une petite communauté de vieux Maghrébins. Au chevet du moteur défaillant, ils se relayent pour le remettre en état de marche. Vestige du passé, cette jolie voiture bleu ciel, qui incarnait la noblesse de la classe ouvrière, ravive les souvenirs. Et avec ces vieux immigrés débarqués en France comme son père, dans les années 1950, un dialogue se noue, stimulé par le travail manuel et la dynamique du groupe. Le cinéaste l'enrichit d'images d'archives, de photos. Il filme des vestiges de l'époque (usines désaffectées, cimetière, transformations du paysage), entrecoupe son récit de petits interludes fictionnels qui plongent le film dans un ailleurs étrange, le monte avec une musique jazz composée par Archie Shepp. Les souvenirs du minerai en fusion, des accidents mortels, des privations, des espoirs, la mémoire de la guerre d'Algérie refont surface dans une sorte de flot de conscience bouillonnant, et induisent toutes sortes de questions au présent. Quel rapport conserve-t-on avec son pays de naissance quand on l'a quitté à la naissance ? Quel est le sens, au XXIe siècle, de l'appartenance à une terre, à une culture ? Pourquoi enterrer ses morts ailleurs plutôt qu'ici ? Autant d'interrogations que le personnage avait remisées sous un couvercle pendant des années et qui font un retour en douceur, mais en force. Sans verser dans le misérabilisme ni dans le ressentiment, sans rien occulter non plus de la dureté, de la violence de ce qu'a vécu cette communauté d'ouvriers métallurgistes immigrés en Lorraine, l'auteur ravive sa mémoire en mettant en scène l'intranquillité qui l'habite. Cette intranquillité est le lot des déracinés, mais elle est aussi celui de quiconque reconnaît cette coupure irréparable si étrange entre un enfant qui a été, puis a cessé d'exister, et l'adulte dans lequel il s'est transformé. La beauté du film tient à la manière, poétique, qu'il a d'entrelarder l'intime et l'universel. En faisant résonner l'expérience individuelle de l'auteur avec celle des personnages qu'il rencontre, et en investissant le destin spécifique de cette communauté d'une portée bien plus universelle encore. LE MONDE 08.05.2012 Par Isabelle Regnier

CULTUROPOING.com

  Certains cinéastes (1) n’ont pas assez d’une vie entière pour réussir à nous parler de quoi que ce soit dans leurs films. Et puis d’autres, comme Abdallah Badis, n’ont besoin que de 78 minutes pour évoquer autant de sujets riches et complexes que l’identité (ou sa perte, ou sa transmission à travers les générations), l’histoire de l’immigration algérienne en France, la désindustrialisation d’une région (ici, la Lorraine sidérurgique, la Lorraine "cœur d’acier", comme on l’appelait autrefois), et d’autres choses encore, le tout sous une forme absolument didactique, parfois par la grâce d’une seule scène, comme en passant. Le Chemin noir tient aussi bien du documentaire (on le rangera dans cette catégorie, par facilité), de l’autofiction que du journal intime. Comme tous les grands films, il part du plus personnel (le propre itinéraire d’Abdallah Badis, ancien ouvrier aciériste et fils d’ouvrier, depuis devenu comédien et metteur en scène de théâtre, acteur occasionnel au cinéma et donc aussi réalisateur) pour toucher au plus universel, au-delà même des sujets listés précédemment. Si le film fonctionne presque toujours par allusions et inspirations poétiques (2), souvent magnifiques (la Peugeot 404 comme objet transitionnel symbole entre France et Algérie, le chemin tracé sur une photo du bled par le doigt d’en enfant…) et/ou parfois un peu obscures (le prologue du film convoquant une sorte de Petit Poucet, les habitants au masque de Mickey, image troublante…), on ne s’empêchera pas d’être platement plus prosaïque pour le commenter, parce que même si ça n’est pas son principal propos, Le Chemin noir entre évidemment fortement en résonance avec bien des mots qui agitent la société française, comme cette période d’élections ne cesse de nous le rappeler violemment. Abdallah Badis est né en Algérie et y a vécu ses premières années quand ce pays subissait lui-même une pleine crise identitaire : pas algérien puisque colonisé et privé de son propre destin par un autre pays, mais pas français non plus, en tout cas ses "indigènes", tous ou presque de religion musulmane. Sans avoir l’air d’y toucher, sans rien asséner, par une simple association de mots et d’images à laquelle il laisse le spectateur donner un sens (ce qui s’appelle faire du cinéma…), Badis rappelle ce péché originel des relations entre la France et l’Algérie et dont le cinéaste est le produit parmi des millions. Il ne semble pas savoir si il sent plus algérien que français ; il n’est même pas certain qu’il se sente l’un ou l’autre. Il a cette confession géniale pour décrire ce sentiment d’altérité à lui-même : nourri comme beaucoup de jeunes Français aux westerns dont la télévision faisait naguère une grande consommation, il se souvient que sa mère lui faisait l’effet d’être une Indienne Par quelques images d’archives bien choisies et sa passant de tout commentaire tautologique, Le Chemin noir nous montre aussi ce qu’a été le quotidien de l’immigration maghrébine en France pendant des années, presque des décennies : une (sur)vie dans des baraquements insalubres, que ce soit le fameux bidonville de Nanterre ou les camps quasi militaires dans lesquels étaient parqués les ouvriers sidérurgiques en Lorraine, un sentiment inévitable de relégation aux marges d’une société si peu hospitalière. Et l’on voudrait aujourd’hui que les enfants et petits-enfants de cette génération sacrifiée accepte sans broncher le chômage massif des banlieues ?... Le film pourtant, encore une fois, n’est pas militant, ne revendique rien, s’attardant surtout sur le quotidien des gens ayant peu ou prou vécu le même itinéraire que celui du cinéaste. Ceux qui sont restés sur cette terre d’adoption (même si cette expression résonne ici étrangement), si loin et si différente du bled (où la plupart retournent au moins chaque année), parfois aussi plus facile à vivre (cf. le témoignage de ce vieil algérien louant la fraîcheur du climat lorrain). Ils sont restés dans cette région de la Fensch qui n’a pourtant plus grand-chose à offrir à ses habitants, ravagés par la désindustrialisation de ces quarante dernières années, celle qui inspira à Bernard Lavilliers (natif d’un Forez assez cousin) l’une de ses meilleures chansons en 1976 (Fensch Vallée, sur Les Barbares). Cyril Cossardeaux - culturopoing
 (1) On ne citera pas de noms, la place nous manquerait.
(2) Soulignées par le saxophone d’Archie Shepp.

L'HUMANITÉ - Des pièces détachées pour un bel ouvrage

Ouvrier, acteur, aujourd’hui cinéaste, Abdallah Badis reprend le chemin de ses souvenirs 
en Moselle, terre d’industrieuse immigration.  Près d’un lac, deux enfants jouent dans une forêt qui déploie ses taches d’ombres et de lumière. Une cabane sur ponton, une maison de pierre devant laquelle un homme surveille un feu de rebuts. La pluie. Tout un monde, en somme. Quelques photos, une adresse « au fils absent », et cet univers sera relié aux exils qui ont précédé sa composition. Abdallah Badis, né en Algérie, est arrivé en 1954 dans l’une de ces villes ouvrières de la 
Moselle dont les noms semblent baptiser les anges. À Ebange, Sérémange, Gandrange, l’enfer des hauts-fourneaux consumait la main-d’œuvre venue de tout le Maghreb. Un chemin noir, au-dessus des voies ferrées, 
reliait la cité à l’usine où l’on embauchait jeune, peur au ventre le premier matin. Les pères, déjà, payaient le lourd tribut des accidents et des deuils. Le fils qu’il était appelle Abdallah depuis l’ombre où il l’avait relégué. Son documentaire s’emploie à renvoyer les échos des situations et émotions du passé par celles du présent. Photos et films d’archives 
entrelacent une déambulation contemporaine au cœur des lieux et de leurs habitants. Chaque fois, Abdallah dépose à proximité une 404 d’un bleu pâle fantomatique qu’il s’obstine à faire réparer. Sa ferraille s’est usée en contrepoint des genoux de ces vieux messieurs assis sur de vieux bancs dans le petit jardin des retrouvailles. Métal en fusion et wagons de lave La convocation de leurs souvenirs assemble en vies 
entières les fragments évoqués. En noir et blanc, les flammes des usines, métal en fusion et wagons de lave charriés à bras. Aujourd’hui, dans les ondulations de la très belle musique originale d’Archie Shepp, les silhouettes des hauts-fourneaux à l’arrêt se distordent contre le crépuscule comme les cuivres d’un orchestre épuisé. Des vies entières, pourtant, où l’on dépensait peu et ne gaspillait rien. Les pères, les fils. Ici et là-bas, au bled. Envois de mandats et de rassurants mensonges. En partageant la pastèque juteuse, un fils d’aujourd’hui se souvient du père burineur en trois-huit qui rentrait noir de suie, mort juste avant sa préretraite. Un père se réjouit d’avoir assuré « là-bas » l’existence de ses enfants. Mohammed, grand ingénieur en 404, tente d’en retrouver les pièces détachées. Des jeunes filles, au cimetière, s’étonnent de la variété des origines des patronymes. Abdallah Badis se souvient de sa mère, tatouages et cheveux rouges, vêtements bariolés comme une Indienne de télévision. La Vespa joyeuse de son frère aîné l’entraîne jusqu’à la guerre d’Algérie, aux visites devenues clandestines de ce dernier, membre du FLN de France. Archives des bidonvilles, des gamines aux gilets trop minces qui pataugent dans le cloaque. Images d’octobre 1961, déjà vues, mais jamais assez, de ces Algériens mains sur la tête au pied de l’arc de triomphe. Et puis tout ce travail, un conte siffloté par une flûte d’os blanc, la mère et ses voiles brodés de sequins… et à la fin la 404 nimbée d’un tulle de moustiquaire qui paraît droit descendu du ciel depuis la présence immortelle de la lune. Dominique Widemann - l'Humanité

AFRIMAGES-RFI - Les voies d'une Histoire à partager

Pour aborder les relations d'une terre algérienne où l'on naît et d'un sol français où l'on grandit, il faut parfois sortir des sentiers battus par les documentaires et les fictions, en arpentant d'autres formes de cinéma. C'est un trajet vagabond, poétique, fortement ancré dans les réalités ouvrières que propose Le chemin noir de Abdallah Badis. Né en Algérie, il connaît bien le milieu de la sidérurgie lorraine, en France, où il rejoint son père avec la famille dans les années 60. Il débute comme aciériste en 1971, avant que le cinéma fasse obliquer sa route. René Allio l'embarque comme aide et figurant dans Rude journée pour la reine, en 1973. Dès lors, il se consacre aux arts du spectacle, devient assistant et comédien de théâtre, met en scène des spectacles. Il apparaît comme acteur à l'écran puis effectue un stage de cinéma direct aux Ateliers Varan, en 1988, et étudie le montage. Après avoir signé Augustina et la grande famille, 2004, effectué une résidence d'écriture, il réalise son premier long-métrage, Le chemin noir, 2010.

Un enfant suit des pistes en forêt, nous conduisant vers Abdallah Badis dans sa maison. Leurs visions se conjuguent dans un conte introspectif, guidé par la voix de l'enfant. "La distance est là", commente le réalisateur, emmenant le spectateur "rencontrer petit à petit dans les friches industrielles ce monde d'où je viens, les ouvriers, les vieux et jeunes arabes, et le regard qu'ils portent sur leur vie, les questions qu'ils peuvent se poser et aussi cette Histoire que français et algériens nous partageons". L'auteur nous dit avoir renoué en 1972 avec l'Algérie où ses parents sont repartis, y avoir séjourné en 1985. Les racines de l'enfance se mêlent à la déambulation dans les aciéries désaffectées où son père puis lui-même ont travaillé. Le choc de revenir là où on a trimé, devenu un parc d'attractions touristique, est représenté par des personnages aux masques de Mickey, croisés en silence. Au milieu des usines délabrées, les voix des travailleurs algériens se croisent, autour d'un verre, de palabres au soleil. Le fil conducteur du récit est matérialisé par une vieille 404 en panne, que d'anciens métallurgistes entreprennent de restaurer. Autour d'eux, les commentaires témoignent du vécu d'hier, les jeunes des questions d'aujourd'hui. La réparation semble la métaphore d'une Histoire que l'on remet sur la route. Ainsi le film avance en égrenant des situations entre passé et présent, émaillées d'images d'archives du monde de la sidérurgie. Une ancienne usine, où est installé un ring de boxe, rappelle les conditions de travail des immigrés qui adressaient leur argent aux familles, rêvant de réussir par le sport. Des scènes renvoient à l'Algérie, l'enfance au soleil, jusqu'aux ultimes images de mer et de mère. Ce parcours impressionniste aux plans posés, ponctué par la voix calme de Abdallah Badis, semble remonter sur les écrans comme une évidence. Pourtant le film s'est accompli après un financement long et difficile qui a permis de mener de multiples repérages, d'écouter les vieux travailleurs algériens. "J'avais comme guide une note d'intention très solide et une trame, des thèmes comme en musique improvisée, j'avais ce qu'il fallait pour m'adapter en fonction de ce que le réel m'offrait", confie Badis, combinant échappées visuelles et situations réalistes. "La vérité n'existe pas, il n'y a que des histoires. Dans une bonne histoire, la vérité est en filigrane, elle est à chercher entre les lignes", renchérit le cinéaste. Et les lignes mélodiques, inventées et jouées par Archie Shepp, ponctuent les scènes, comme la mémoire des galériens du travail incarnés par les algériens déracinés. "L'identité n'est pas mon problème", précise le réalisateur. "Le territoire qu'arpente le film est un espace courbe où passé, présent, imaginaire et réel, tout se mêle. C'est une affaire de père et fils, de pays de naissance et pays d'accueil. Je n'ai pas de leçon à donner, plutôt une histoire à partager…" Il s'appuie sur les cadres fermes de l'opératrice Claire Mathon sans chercher à combler les manques d'un récit fragmenté, parcellaire comme la mémoire. Le chemin noir désigne les sentiers longeant les voies ferrées des usines sidérurgiques, noircis par les poussières de charbon. Il résonne aussi de l'inspiration de son auteur qui l'a créé les yeux fermés sur l'enfance algérienne, ouverts sur la situation d'aujourd'hui. "Etre dans le monde et en même temps hors de lui, c'est ce que je souhaitais. Le cinéma le permet", affirme Abdallah Badis. Ainsi Le chemin noir reste libre d'accès. Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France / Africiné)

jeudi 10 mai 2012

De l’âge d’or ouvrier au Sahara industriel.





Revenu sur la terre de son enfance, le cinéaste Abdallah Badis raconte l'histoire de la Lorraine à travers celle d’anciens ouvriers algériens. Saisissant ! (lire la suite)
Mounir Benali
saphirnews.com

Poétique empoignade avec le passé, entre France et Algérie.

On entre dans Le Chemin noir comme dans un conte imprégné de nostalgie. On y entre par un retour vers l’enfance, première occurrence de cet entrelacement de flux et de reflux temporels et géographiques que va tisser le récit filmique d’Abdallah Badis. Une fillette s’invente un chemin de feuilles lancées devant elle, inaugurant un jeu de trajectoires faisant par la suite intervenir un autre enfant. Reprise et conclue dans les derniers instants, cette séquence encadre le film tout en en livrant la dynamique, chemin des mots sur le fil de la mémoire entre pertes de vue, rencontres et reconstruction d’un lien. Elle permet également une porosité, entre fiction et documentaire, qui va marquer le film de son empreinte, brassant dans la matière des souvenirs personnels et du roman familial du réalisateur pour mieux se déporter sur un territoire indistinct, où le rapport à la mémoire se conjugue avec une écriture personnelle et poétique, où chacun réussit à imprégner l’autre totalement. Le lien avec le pays d’origine – l’Algérie – soutient comme un fil tendu tout au long du film cette ouverture sur l’intimité du réalisateur (très présent à l’image) et l’éclatement de ses liens familiaux. C’est lui qui va nourrir les conversations impromptues survenant autour d’une vieille 404 à réparer, où chacun, retroussant ses manches, en ira à la fois de ses conseils et de son histoire personnelle. Avec les mots se trouve convoquée la cohorte de fantômes d’un passé douloureux : immigration, précarité affective et sociale, travail à la mine ou dans les zones sidérurgiques de Lorraine. On raconte un éloignement dans l’espace (relation parfois contrariée au pays d’origine et à ceux qui s’y trouvent toujours) et dans le temps (la mine ainsi que les usines, où se sont épuisés nombre de travailleurs immigrés, sont désormais fermées). Mais on se rapproche également autour de la possible élaboration d’une Histoire partagée. La mise en œuvre de ce processus sous des atours pour le moins minimalistes mais avec une efficacité redoutable fait tout le prix du film. C’est également ce qui lui permet de s’extraire du tout-venant devenant lassant de documentaires familiaux ou autobiographiques qui tendent à vouloir faire du cinéma l’archive éclatée d’une multitude de mois sans réel travail d’écriture. Croisant autrefois avec aujourd’hui, Le Chemin noir s’arrête sur la disparition d’un monde, montrant les hauts-fourneaux laissés à l’abandon et envahis par la végétation, tout en racontant la souffrance au travail et le déracinement sur fond de guerre d’Algérie dans les années 50. Il rend perceptible la rugosité des machines absentes, la fonderie, l’usine, ses matières et ses bruits, « la bête qui mange les hommes, » désormais géant pétrifié réinvesti par le cinéaste et son équipe le temps d’un combat (d’un échange ?) de boxe entre deux anciens, figurant le face à face avec l’autre en soi pour remettre au monde sa propre histoire. Il déterre. Il refonde. Il redonne du sens en grattant sous le vernis trop lisse d’une modernité montrée sous un jour inquiétant (belle idée de ces personnages tous affublés d’un masque de Mickey croisant au début du film la route du réalisateur). Inscrivant la naissance du désir de récit dans le film par l’intermédiaire d’une de ses premières images (une main suivant le tracé d’une route sur une photographie, partant de l’avant-plan pour avancer dans la profondeur), le cinéaste oppose à ces figures muettes et menaçantes d’uniformité un mouvement profondément sensible. Article de Josselin Naszalyi ,il était une fois le cinéma.com
et aussi (ici)

LE POINT - Mémoires d'ouvriers

Un homme parcourt les anciens paysages sidérurgiques de la Lorraine. Il se souvient de son enfance et de son père, venu d'Algérie comme tant d'autres pour gagner sa vie en ces lieux. Reste-t-il des traces des anciennes activités industrielles ? Quid de la mémoire ouvrière ? Qu'en pensent ceux qui, aujourd'hui, habitent toujours sur place ? Pour son premier long-métrage, Abdallah Badis, qui fut ouvrier aciériste en Lorraine avant de travailler pour le théâtre et le cinéma (entre autres avec René Allio et Jean-Pierre Limosin), échappe aux conventions et prend des risques. Dans ce documentaire d'une grande liberté formelle, qui flirte parfois avec la fiction, le cinéaste refuse les discours convenus sur l'immigration, l'"identité nationale" et invite à un voyage impressionniste où, en évoquant sa propre mémoire, il rend compte du destin collectif d'une communauté et d'une région frappées de plein fouet par les "restructurations". Malgré quelques maladresses formelles, Le chemin noir impose sa singularité et sa richesse thématique.
 Olivier De Bruyn. le Point.fr

mercredi 9 mai 2012

Plongée dans un monde devenu invisible


Les ouvriers crèvent l'écran.

La Lorraine: sa campagne ensommeillée, ses paysages sidérurgiques éventrés. C’est comme une chanson qui parlerait de la nuit qui est tombée sur les Arabes de France et d’une blessure qu’on ne peut pas guérir. Une blessure qui pourrit les élections et rend fou les gamins...

Le long du chemin noir – morceau de voie ferrée qu’empruntaient autrefois les ouvriers pour se rendre de la cité ouvrière à l’usine – se sont accumulés les vestiges charbonneux de l’histoire de l’immigration algérienne en France. Cette histoire, Abdallah Badis la raconte à travers son destin presonnel. Celui d’un fils de mineur, mineur lui-même avant de devenir cinéaste. Au son du jazz d’Archie Shepp, l’enfance du réalisateur renaît autour d’un objet totémique: une 404 à l’abandon, Alors que des ouvriers à la retraite s’emploient à la réparer, l’Histoire et ses histoires émergent.
“Je voulais que le spectateur entre en douceur dans cet univers et même y soit éventuellement un peu perdu. Ce n’est pas un film circonstanciel pour le cinquentenaire des accords d’Evian, c’est un film que je porte en moi depuis longtemps, un film qui vient de loin. Je n’ai pas voulu inscrire Le Chemin noir dans le bazar social franco-français qu’encadrent les mots “immigration” et “identité”. La version courte du film pour la télévision s’intitule Une vie française. Lors de chacune de mes démarches, je devais préciser que ce n’est pas un film sur les Arabes. C’est un film avec les Arabes. Ce n’est pas non plus un film sur la condition ouvrière. C’est  avant tout une histoire de père et de fils. Je retrouvais mon père dans les vieux Arabes que je filmais.
Ce qui m’intéressait c’était de parler de choses qui ont disparu. Le monde ouvrier, c’est un monde englouti, un monde oublié comme celui des Aztèques, Le film ne court pas à l’information. Elle arrive par petits signes. L’important était, d’abord, d’installer un climat émotionnel, presque impressionniste. Le tableau – et la mémoire – se construisent avec les petites choses qui restent. On dit que les choses meurent mais que les hommes restent. C’est le contraire. Quand tout a disparu, les choses restent. Comme la 404 du film qui faît apparaître des fantômes. Cette voiture vient de mon enfance. Elle appartenenait à un jeune ouvrier de 23 ans qui allait se marier en Algérie et rêvait de ramener sa femme, comme une reine, dans la 404. Juste avant de partir il meurt en tombant dans une cuve de la mine. La 404 a servi à ramener son corps en Algérie. La voiture du bonheur devient la voiture du malheur.
'Le Chemin noir', DRCette voiture, c’était l’époque où Johnny Halliday chantait Retiens la nuit, chanson qui, pour moi, a marqué le divorce franco-algérien. C’est une chanson qui parle de la nuit qui est tombée sur les Arabes de France et d’une blessure qu’on ne peut pas guérir. Une blessure qui pourrit les élections et rend fou les gamins. Une blessure qui est la cause de bien d’actes délinquants, de suicides, d’overdoses et de délires à la con type Mohammed Merah. Une  énorme douleur s’est transformée en monstruosité. Cela a une raison profonde et on n’a pas le droit de dire qu’on ne sait pas d’où ça vient.
Cela dit je ne voulais pas plonger le spectateur dans un sac où il se sente obligé de faire son mea culpa. Je voulais qu’il passe un beau moment, qu’il goûte à une lumière. C’est pour cela que le film reconstruit une sorte de communauté idéale et c’est pour cela qu’avant le tournage, j’ai emmené mon équipe une semaine en Algérie afin qu’elle retrouve en Lorraine cette putain de belle lumière d’Algérie. C’est un film ouvert, un film qui laisse le monde rentrer.

Jean Christophe Ferrari - evene sur le net

le chemin noir sur PREMIERE


   
  Ce beau documentaire sur l’arrivée d’immigrés algériens en Lorraine dans les années 50 tient du conte, du journal intime, de l’album de famille, et même de la comédie...
Isabelle Danel - première

TELERAMA

L'auteur, comme en vacances, remonte le fil des souvenirs : cette usine de Lorraine, aujourd'hui abandonnée, où travaillait son père ; les lieux où il se promenait, ado ; et aussi le fantôme de son grand frère, clandestin dans les années 1960, « un FLN de France », comme on disait... Autour d'une vieille guimbarde à réparer, il croise d'autres Algériens, certains fidèles au bled et d'autres moins... Abdallah Badis cadre avec soin, ses images sont belles : il semble vouloir sauvegarder à toute force, avant que le temps ne fasse son oeuvre, les traces de ses compatriotes exilés depuis si longtemps. Parfois, son documentaire vire à la fiction comme lorsque l'un de ses interlocuteurs lui raconte sa vie en France, entre Zola et Kafka. Mineur, d'abord — « pas longtemps, douze ans », dit-il —, puis marbrier, puis fossoyeur, « ramassant les os humains à mains nues »... L'extraordinaire musique d'Archie Shepp pare ces témoignages de mélancolie. Et de violence feutrée. —
Pierre Murat. télérama

EST REPUBLICAIN - sur les traces oubliées du « Chemin noir »

Ce sont « des petits bouts d’histoire personnelle et d’histoire de la Région », que raconte Abdallah Badis, dans son documentaire « Le chemin noir ». Un film qu’il avait présenté en avant-première aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer (lire L’Est Républicain du 2 avril), sorti en salles depuis mercredi, mais pour l’instant seulement programmé au cinéma Ariel de Metz, au Star de Strasbourg, et dans quelques salles parisiennes ; il sera programmé à partir de début juin au Caméo à Nancy, où le réalisateur viendra le présenter. « Le chemin noir » a des allures de conte, c’est un documentaire poétique, esthétique, mais peut-être pas assez didactique pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de cette Lorraine industrielle sinistrée. Ce que Baru raconte en bédé et avec humour, Abdallah Badis l’évoque avec beaucoup de mélancolie, une mélancolie amplifiée par la musique jazz qu’Archie Shepp a composée spécialement pour « Le chemin noir ». « Le film parle du passage d’un monde à un autre monde », précise le cinéaste, « Les choses disparaissent, mais heureusement les hommes restent. J’allais à la recherche de l’histoire de mon père ». Ce père, ouvrier Algérien, venu comme tant d’autres travailler, en France, en Lorraine. Fils de sidérurgiste, Abdallah Badis fut lui-même ouvrier aciériste dans sa jeunesse, après avoir été collégien à Hagondange, et lycéen à Rombas. Une rencontre avec le cinéaste René Allio a tout changé, et a redirigé Badis vers le cinéma, le théâtre, le cirque, la musique… Devenu « comédien par hasard », il est désormais cinéaste par conviction. Patrick TARDIT Abdallah Badis présentera son film le 20 mai à Ars-sur-Moselle (séance à 16 h 45), le 25 mai, à la Scala de Thionville (séance à 20 h 30), et début juin au Caméo à Nancy.

vendredi 4 mai 2012

le chemin noir au star à strasbourg

au cinéma star strasbourg le jour de l'avant première ici

Boucle bouclée

Film puzzle, film jeu de piste, Le chemin noir parle de l’enfance, du rapport aux parents, de la mort, de l’Algérie, de la France, du déracinement, de l’usine, de la 404 Peugeot, et d’autres choses encore. On y entre comme dans un conte touffu, puis ça devient plus linéaire, plus lisible aussi, et on en sort 1h20 plus tard, la boucle bouclée in extremis...(suite ici)

mercredi 2 mai 2012

Paroles (d'in) visibles

L'estuaire- Saint Nazaire





mardi 1 mai 2012

Sortie salle"Le Chemin Noir" Paris Metz Strasbourg

Le mercredi 9 Mai 2012 à Strasbourg cinéma LE STAR à Paris cinéma L'ESPACE SAINT MICHEL (Vème) à Metz cinéma CAMEO avant-premières et séances débat en ma présence au STAR à Strasbourg le 3 Mai 20h15 au Caméo à Metz le 7 Mai 20h15 à l'espace St Michel le 9 Mai 20h15 le film n'a pas encore de date de programmation à Nancy, mais Il est d'ores et déjà programmé au cinéma L'IMPERIAL de Lunéville, au cinéma L'UNION d’Ars sur Moselle et au cinéma SCALA Thionville. J'y serai pour débat après séance à l'UNION Ars s/Moselle le 20 Mai séance 16h45 à L'IMPERIAL Lunéville le 24 Mai séances de 17h30 et 20h15 à LA SCALA Thionville le 25 Mai séance de 20h15 au plaisir de vous y rencontrer vous et vos amis. et aussi: à partir du 5Juin cinéma Utopia Avignon du 6Juin Cinéma Arcades Alès du 7 juin à l’Utopia Montpellier et les 7 , 9 et 11 juin au Cinématographe Nantes première quinzaine de Juin à l’Atalante Gourdon (dans le Lot) et à Arcueil au cinéma Jean Vilar deuxième quinzaine de juin au cinéma l’ABC Toulouse merci de faire passer l'info.