vendredi 11 mai 2012
AFRIMAGES-RFI - Les voies d'une Histoire à partager
Pour aborder les relations d'une terre algérienne où l'on naît et d'un sol français où l'on grandit, il faut parfois sortir des sentiers battus par les documentaires et les fictions, en arpentant d'autres formes de cinéma. C'est un trajet vagabond, poétique, fortement ancré dans les réalités ouvrières que propose Le chemin noir de Abdallah Badis. Né en Algérie, il connaît bien le milieu de la sidérurgie lorraine, en France, où il rejoint son père avec la famille dans les années 60. Il débute comme aciériste en 1971, avant que le cinéma fasse obliquer sa route. René Allio l'embarque comme aide et figurant dans Rude journée pour la reine, en 1973. Dès lors, il se consacre aux arts du spectacle, devient assistant et comédien de théâtre, met en scène des spectacles. Il apparaît comme acteur à l'écran puis effectue un stage de cinéma direct aux Ateliers Varan, en 1988, et étudie le montage. Après avoir signé Augustina et la grande famille, 2004, effectué une résidence d'écriture, il réalise son premier long-métrage, Le chemin noir, 2010.
Un enfant suit des pistes en forêt, nous conduisant vers Abdallah Badis dans sa maison. Leurs visions se conjuguent dans un conte introspectif, guidé par la voix de l'enfant. "La distance est là", commente le réalisateur, emmenant le spectateur "rencontrer petit à petit dans les friches industrielles ce monde d'où je viens, les ouvriers, les vieux et jeunes arabes, et le regard qu'ils portent sur leur vie, les questions qu'ils peuvent se poser et aussi cette Histoire que français et algériens nous partageons". L'auteur nous dit avoir renoué en 1972 avec l'Algérie où ses parents sont repartis, y avoir séjourné en 1985. Les racines de l'enfance se mêlent à la déambulation dans les aciéries désaffectées où son père puis lui-même ont travaillé. Le choc de revenir là où on a trimé, devenu un parc d'attractions touristique, est représenté par des personnages aux masques de Mickey, croisés en silence.
Au milieu des usines délabrées, les voix des travailleurs algériens se croisent, autour d'un verre, de palabres au soleil. Le fil conducteur du récit est matérialisé par une vieille 404 en panne, que d'anciens métallurgistes entreprennent de restaurer. Autour d'eux, les commentaires témoignent du vécu d'hier, les jeunes des questions d'aujourd'hui. La réparation semble la métaphore d'une Histoire que l'on remet sur la route. Ainsi le film avance en égrenant des situations entre passé et présent, émaillées d'images d'archives du monde de la sidérurgie. Une ancienne usine, où est installé un ring de boxe, rappelle les conditions de travail des immigrés qui adressaient leur argent aux familles, rêvant de réussir par le sport. Des scènes renvoient à l'Algérie, l'enfance au soleil, jusqu'aux ultimes images de mer et de mère.
Ce parcours impressionniste aux plans posés, ponctué par la voix calme de Abdallah Badis, semble remonter sur les écrans comme une évidence. Pourtant le film s'est accompli après un financement long et difficile qui a permis de mener de multiples repérages, d'écouter les vieux travailleurs algériens. "J'avais comme guide une note d'intention très solide et une trame, des thèmes comme en musique improvisée, j'avais ce qu'il fallait pour m'adapter en fonction de ce que le réel m'offrait", confie Badis, combinant échappées visuelles et situations réalistes. "La vérité n'existe pas, il n'y a que des histoires. Dans une bonne histoire, la vérité est en filigrane, elle est à chercher entre les lignes", renchérit le cinéaste. Et les lignes mélodiques, inventées et jouées par Archie Shepp, ponctuent les scènes, comme la mémoire des galériens du travail incarnés par les algériens déracinés.
"L'identité n'est pas mon problème", précise le réalisateur. "Le territoire qu'arpente le film est un espace courbe où passé, présent, imaginaire et réel, tout se mêle. C'est une affaire de père et fils, de pays de naissance et pays d'accueil. Je n'ai pas de leçon à donner, plutôt une histoire à partager…" Il s'appuie sur les cadres fermes de l'opératrice Claire Mathon sans chercher à combler les manques d'un récit fragmenté, parcellaire comme la mémoire. Le chemin noir désigne les sentiers longeant les voies ferrées des usines sidérurgiques, noircis par les poussières de charbon. Il résonne aussi de l'inspiration de son auteur qui l'a créé les yeux fermés sur l'enfance algérienne, ouverts sur la situation d'aujourd'hui. "Etre dans le monde et en même temps hors de lui, c'est ce que je souhaitais. Le cinéma le permet", affirme Abdallah Badis. Ainsi Le chemin noir reste libre d'accès.
Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France / Africiné)
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