Abdallah Badis

Comédien - Metteur en scène - Cinéaste

lundi 26 janvier 2009

Doc ou fiction?

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Toute documentaire qu’elle soit, il y a quelque chose d’un acte magique dans cette plongée dans l’histoire des miens et celle du monde ouvrier d’où je viens, quelque chose d’un talisman, d’un deuil et comme on dit en musique, d’une offrande. Quelque chose d’un poème visuel et sonore.


Une pierre est tombée
Quelque chose dans les murs s’est ouvert
Le lointain est devenu plus nostalgique plus désirable
une pierre est tombée
quelque chose dans l’homme a changé
j’ai fait de mon visage
le frère de l’herbe où je suis né
et mes pas se sont livrés
à la nostalgie des miroirs
je confie à la pierre
ce que le jour laisse de ses décombres
ce que laisse le voyage.
Adonis
(in "Chronique des branches", collection Orphée, La différence ed.)

jeudi 1 janvier 2009

Sidi M'Hamed

Le chemin noir c’est peut-être celui que l'on suit sur le presque tard de la vie, quand on commence à rentrer dans sa carapace comme une tortue. Et de tortue, j’en ai une, elle carapatait sur la tombe de ma grand-mère elle s’appelle sidi M’Hamed. Elle m'a raconté son histoire.

C'était il y a très, très, très longtemps, du temps où les humains vivaient comme des animaux, sans conscience et sans morale. L'usage était, quand l'hiver arrivait et pour ne pas gâcher les réserves de nourriture, de se débarrasser des bouches inutiles. Ainsi tous les jours, quelqu'un quittait-il le village, qui avec son père, qui avec sa mère sur le dos pour porter l’un ou l’autre jusqu'à la montagne et le projeter dans le vide comme une vulgaire ordure. Au pied de chaque précipice, des ossements à perte de vue. Ce jour là, c'était M'Hamed qui quittait sa maison . Il avait chargé, sans cruauté ni douceur, son père sur son dos et prenait le chemin qui mène à la montagne. Il marcha longtemps jusqu'à atteindre un à-pic de plus de cent mètres, et il se dit: "voilà je vais le jeter ici".
Il s'apprêtait à le faire quand la voix faible du père se fit entendre:
"- Non, mon fils, pas ici, ne me jette pas ici!".
Étonné ,contrarié, le fils dit au père:
"- Pourquoi pas ici? pourquoi plus loin encore? Faire une chute de 100, 120, ou 210 mètres, qu'est ce que cela change? Qu'il y pousse des roses, des oliviers sauvages ou que ce soit un désert de pierres, tu seras mort en bas de la même façon."
Le fils s'arc-boutait à nouveau au bord du vide quand il sentit à ses pieds une pierre qui s'arrachait du bord de la falaise. Mais au lieu de tomber, elle semblait revenir vers le chemin. Intrigué, M'hamed reposa son père. Il se saisit de la pierre et s'apprêtait à la lancer dans le vide, quand il sentit qu'elle lui chatouillait la paume. C'était une tortue et elle venait de sortir ses pattes. M'Hamed se mit à l'observer avec ce regard que seul les animaux ont *. Puis voyant que le soleil allait disparaître derrière la montagne il se pencha vers son père et lui dit:
"- Dis moi, où veux-tu que je me débarrasse de toi, vieil homme, vite, il faut que je rentre? - Pas ici, mon fils, pas ici, fais le un peu plus loin, peu importe, mais pas ici, je t'en prie."
- Pourquoi donc?" dit le fils dont le regard commençait à avoir quelque chose d'humain.
"- Et bien, dit le père, j'ai reconnu tout de suite cet endroit, c'est exactement ici que moi-même à ton âge, j'ai jeté mon père. Voilà pourquoi."
Le soleil se couchait quand M'Hamed, portant son père sur son dos et une tortue à la main rentra dans son village. De ce jour, l'humanité a habité les humains, c'est Sidi M'Hamed qui me l'a dit. La tortue qui a habité mon rêve a connu mon arrière grand mère. Elle va souvent converser avec elle au sanctuaire de Sidi Amar, sur l'île de naissance , là où on dit "Que dieu veille sur ton ombre."