Abdallah Badis

Comédien - Metteur en scène - Cinéaste

mercredi 9 mai 2012

Les ouvriers crèvent l'écran.

La Lorraine: sa campagne ensommeillée, ses paysages sidérurgiques éventrés. C’est comme une chanson qui parlerait de la nuit qui est tombée sur les Arabes de France et d’une blessure qu’on ne peut pas guérir. Une blessure qui pourrit les élections et rend fou les gamins...

Le long du chemin noir – morceau de voie ferrée qu’empruntaient autrefois les ouvriers pour se rendre de la cité ouvrière à l’usine – se sont accumulés les vestiges charbonneux de l’histoire de l’immigration algérienne en France. Cette histoire, Abdallah Badis la raconte à travers son destin presonnel. Celui d’un fils de mineur, mineur lui-même avant de devenir cinéaste. Au son du jazz d’Archie Shepp, l’enfance du réalisateur renaît autour d’un objet totémique: une 404 à l’abandon, Alors que des ouvriers à la retraite s’emploient à la réparer, l’Histoire et ses histoires émergent.
“Je voulais que le spectateur entre en douceur dans cet univers et même y soit éventuellement un peu perdu. Ce n’est pas un film circonstanciel pour le cinquentenaire des accords d’Evian, c’est un film que je porte en moi depuis longtemps, un film qui vient de loin. Je n’ai pas voulu inscrire Le Chemin noir dans le bazar social franco-français qu’encadrent les mots “immigration” et “identité”. La version courte du film pour la télévision s’intitule Une vie française. Lors de chacune de mes démarches, je devais préciser que ce n’est pas un film sur les Arabes. C’est un film avec les Arabes. Ce n’est pas non plus un film sur la condition ouvrière. C’est  avant tout une histoire de père et de fils. Je retrouvais mon père dans les vieux Arabes que je filmais.
Ce qui m’intéressait c’était de parler de choses qui ont disparu. Le monde ouvrier, c’est un monde englouti, un monde oublié comme celui des Aztèques, Le film ne court pas à l’information. Elle arrive par petits signes. L’important était, d’abord, d’installer un climat émotionnel, presque impressionniste. Le tableau – et la mémoire – se construisent avec les petites choses qui restent. On dit que les choses meurent mais que les hommes restent. C’est le contraire. Quand tout a disparu, les choses restent. Comme la 404 du film qui faît apparaître des fantômes. Cette voiture vient de mon enfance. Elle appartenenait à un jeune ouvrier de 23 ans qui allait se marier en Algérie et rêvait de ramener sa femme, comme une reine, dans la 404. Juste avant de partir il meurt en tombant dans une cuve de la mine. La 404 a servi à ramener son corps en Algérie. La voiture du bonheur devient la voiture du malheur.
'Le Chemin noir', DRCette voiture, c’était l’époque où Johnny Halliday chantait Retiens la nuit, chanson qui, pour moi, a marqué le divorce franco-algérien. C’est une chanson qui parle de la nuit qui est tombée sur les Arabes de France et d’une blessure qu’on ne peut pas guérir. Une blessure qui pourrit les élections et rend fou les gamins. Une blessure qui est la cause de bien d’actes délinquants, de suicides, d’overdoses et de délires à la con type Mohammed Merah. Une  énorme douleur s’est transformée en monstruosité. Cela a une raison profonde et on n’a pas le droit de dire qu’on ne sait pas d’où ça vient.
Cela dit je ne voulais pas plonger le spectateur dans un sac où il se sente obligé de faire son mea culpa. Je voulais qu’il passe un beau moment, qu’il goûte à une lumière. C’est pour cela que le film reconstruit une sorte de communauté idéale et c’est pour cela qu’avant le tournage, j’ai emmené mon équipe une semaine en Algérie afin qu’elle retrouve en Lorraine cette putain de belle lumière d’Algérie. C’est un film ouvert, un film qui laisse le monde rentrer.

Jean Christophe Ferrari - evene sur le net

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