Et mon père est revenu en France
À sa demande, je prends ma voiture. Nous allons faire une balade. Il veut revoir son usine avant de repartir en Algérie.
Par la cité ouvrière puis par ce qu’on appelait le Chemin Noir et qui emprunte le tracé d’une voie romaine, nous atteignons l’ancien portier de l’usine, celui par lequel mon père rejoignait son poste aux fours à chaux. Nous tournons le dos au bois qui aujourd’hui abrite un monde de loisirs et de machines à sous.
Ce devrait être là devant nous ! Mon vieux père cherche du regard la forme sans angles de l’ancienne cimenterie à laquelle la poussière laiteuse qui s’était accumulée avec le temps donnait l’aspect d’un habitat troglodyte.
Il pointe le doigt, voudrait me la montrer. Il cherche du regard les grandes halles abritant les laminoirs, les chaudrons géants de l’aciérie et plus à droite, en direction de Maizières les Metz, l’alignement des hauts-fourneaux.Rien de tout cela. Plus rien ! Il n’y a plus que cet espace blanc sale, un terrain vague envahi par les bouleaux et les saules argentés.
Je vois sur le visage de mon père l’effarement dans lequel le plonge cette disparition. Il reste sans voix. Etait-ce bien là qu’il avait travaillé?
Après avoir déchaussé ses lunettes, il les essuie méthodiquement, puis les remet. La vision reste cruellement la même, un grand vide. Avait-t-on profité de sa vieillesse et de son éloignement pour escamoter avec l’immense usine, toute trace de son passé de manœuvre en France ? Une vie pouvait-elle s’effacer comme ça ?
Il se pose la main sur la tempe. Il ne dit rien. Il n’y a rien à dire. Il est inquiet, alors il rit. Et comme toujours quand il est dans l’embarras, il se racle la gorge. Il faut partir.
Nous avons rejoint la Moselle et emprunté la rive droite en direction de Metz avec pour seul paysage, les arbres, l’herbe des prés et la route …
Sans rien se dire.
lundi 2 juin 2008
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