On raconte l'histoire à Junin ou à Tapalqué. Un enfant disparaît après un raid d'Indiens. On dit qu'ils l'avaient enlevé. Ses parents l'ont cherché inutilement. Des années plus tard, un soldat qui venait de l'intérieur leur parla d'un Indien aux yeux bleus qui pourrait bien être leur fils. Ils le rencontrèrent à la fin (la chronique ne précise pas les circonstances et je ne veux pas inventer ce que j'ignore) et crurent le reconnaître. L'homme, marqué par le désert et la vie sauvage, ne comprenait déjà plus les mots de sa langue natale. Indifférent el docile, il se laissa pourtant conduire à la maison. Il s'arrêta sur le seuil, peut-être parce que les autres s'y arrêtèrent. Il regarda la porte, comme s'il ne la comprenait pas. Soudain, il baissa la tête, poussa un cri, traversa en courant le corridor et les deux vastes cours et pénétra dans la cuisine. Sans hésiter, il plongea le bras dans la hotte enfumée et sortit le petit couteau à manche de corne qu'il avait caché là, lorsqu'il était enfant. Ses yeux brillèrent de joie. Ses parents pleurèrent, parce qu'ils avaient retrouvé leur enfant. Ce souvenir fut peut-être suivi par d'autres, mais l'Indien ne pouvait vivre entre quatre murs. Un jour, il partit retrouver son désert. Je voudrais savoir ce qu'il ressentit à cet instant vertigineux où le passé et le présent se confondirent. Je voudrais savoir si le fils perdu renaquit et mourut en cette extase, ou s'il parvint à reconnaître, ne fût-ce qu'à la manière d'un nouveau-né ou d'un chien, ses, parents et sa maison.
("L'auteur et autres textes, Jorge Luis Borgès, Gallimard éditeur)
samedi 26 septembre 2009
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