Si le parcours qui m’a conduit au cinéma serpente et bifurque comme ces pistes que dessinent les passages d’animaux sur les pentes de petite montagne c'est peut-être parce qu'on ne trace pas de ligne droite dans un espace courbe. J’ai la cinquantaine et aujourd’hui encore, comme autrefois à l'école, j'ai du mal à me mettre en rang. Le film à naître cherche peut-être à baliser un espace dont je peux dire: « je m'y sens chez moi ». Un espace autre que village, région, religion, pays. Pour le définir, il faudrait un mot que je n'ai pas sur la langue. Depuis tout petit, j'ai une passion pour la géographie, les cartes colorées et les images d'ailleurs. Cet espace n’existe pas, il lui faut un mot ouvert, pas documentaire, pas fiction, un mot de toutes langues comme Jazz. Jazz emmène ailleurs, dans un espace qui se fiche des frontières, des nationalités. Une chose de l’âme, une chose des corps meurtris, une chose nègre, quoi de mieux pour faire le pont entre les galériens illettrés dont je viens et moi ? quelque chose qui puisse permettre de faire le chemin qui d’une petite cambrousse française où on niche au milieu de ses amis - et où l’on se bouche les oreilles pour ne pas attraper la rage, de savoir qu’encore un petit bicot de seize ans s’est pendu à la taule de Metz, Strasbourg ou ailleurs - tiens, il est d’à côté ... Fameck. Douce France !
Ce chemin qui d’une cambrousse idéale de France, mènera jusqu’au bout du monde, jusqu’à l’œuf initial, loin du folklore des pensées bien pensantes, des héros positifs et du malheur comme seul avenir. Rien d’exotique, d’"Oriental". Il y a un sacré chemin à faire pour aller jusqu’au Cimetière de Sidi Amar à la frontière algéro-marocaine, jusqu’aux larmes, aux cris, aux trompes à anches et percussions, jusqu'au chant aigu des musiciens qui chanteront l’union des morts et des vivants.
Dans la poussière où dorment les cités ouvrières de mon enfance, et le souvenir des paysages algériens, le film, comme un doigt sur une vitre embuée, doit tracer son chemin et révèler la part d’ombre que tout enfant porte en lui, (un enfant tout court, ça suffit non !) : cette identité incertaine. Equation insoluble. Le narrateur est comme cet enfant de l’histoire que raconte l’homme noir rencontré en repérage: moitié blanc, moitié noir. Le blanc a-t-il mangé le Noir ? N’est-ce pas le Noir qui l’appelle déjà là-bas à la campagne ; qui devance même cette voix du père qui parle dans la langue maternelle et dit : « Tu es arabe mon fils, reviens nous voir, ne serait-ce qu’un moment. Je suis vieux, je n’en ai plus pour longtemps ».
Il y a dans cette histoire un feu souterrain qui la fait exister, vibrer. La « petite musique » du film, sa ligne enfouie est la voix de l'enfant mort qui hante le narrateur. Parfois elle viendra avant les situations faire trembler les corps alors que tout est calme. Parfois elle sera comme un écho qui apaise. Elle viendra toujours de loin. Dans cette histoire, bien des choses ne peuvent pas être dites en mot . c’est le son et l’image qui révéleront. Usines disparues, solitude et silence des vieux galériens, vies déchiquetées. Il y a le bruit des trains, le danger de traverser les voies, le métal qui coule, la liste des vieux et des morts qui s’allonge et le Narrateur qui avance qui avance comme un aveugle. Il sait d’instinct où il va . Cet homme cherche son ombre perdue. Son ombre volée. Il en a besoin pour marcher à nouveau sur la terre où il est né .
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