Extraits de la thèse d’Andrée Michel ,
rapport commandé par l’Institut de Géographie.
rapport commandé par l’Institut de Géographie.
« ……Pénétrons dans les deux camps d'une grande usine, qui héberge 560 Algériens sur les 800 qu'elle emploie. Le camp A, adossé aux hauts-fourneaux, est situé dans l'enceinte même de l'usine; il est isolé de la route par une palissade surmontée de fils de fer barbelés. Pour s'y rendre, Il faut parcourir deux kilomètres de terrain vague, à partir de la cité ouvrière où sont logés les ouvriers européens et leurs familles. Ce camp A est donc complètement Isolé. Une petite guérite, installée à l’entrée du camp, est occupée en permanence (nuit et jour) par un garde européen de l'usine en uniforme, quelquefois armé. Il exige de tout visiteur un laissez.passer signé par la direction de l'usine. Les consignes sont sévères: toute infraction au règlement est sanctionnée par l'expulsion. Seuls les Algériens parents des hébergés ont accès au camp: encore faut-il qu'ils déposent à l'entrée leur carte d'Identité, qui ne leur sera rendue qu'à la sortie. De plus, Ils doivent respecter un horaire strict: après de multiples démarches de la part des Algériens, les heures de visites, d'abord limitées à quatre heures par jour, sont autorisées de 6 à 23 heures. À l'intérieur du camp, les baraques s'alignent géométriquement sur un terre-plein transformé en bourbier dès qu'il pleut. Une épaisse fumée en provenance de la cokerie et des hauts-fourneaux s'abat sur le camp et interdit toute visibilité à quelques mètres. Chaque baraque est séparée en deux par un couloir étroit. De part et d'autre s'ouvrent les portes donnant accès aux chambres, habitées chacune par quatre locataires. Quatre lits, une petite table, deux armoires métalliques, quelques tabourets composent un mobilier sommaire. L'ensemble est relativement propre et ordonné; de plus, les Algériens ont obtenu de la direction des draps et des couvertures changées régulièrement. Pour ne pas manger à la cantine de l'usine, ce qui constituait une obligation il y a un an, les Algériens ont fait de multiples démarches auprès de la direction. Ils ont obtenu, il y a six mois. une pièce commune (dans chaque baraque), qui sert de cuisine et de réfectoire. La cuisine est faite sur de petits réchauds à pétrole. Les locataires se groupent à plusieurs, pour plus d'économies, afin de «faire bouillir la marmite », Dans ce camp A, où sont hébergés 240 Algériens, la densité par chambre est moyenne; l’hygiène est quasi satisfaisante, mais les locataires expriment leur insatisfaction d'être gardés dans des camps tout comme des prisonniers. *
Le loyer est de 1200 F par mois. Le même loyer est payé par les 320 Algériens hébergés au camp B de l'usine, qui offre la même disposition et la même surveillance. Mais les conditions d'hygiène y sont déplorables, Les baraques en bois se composent de dortoirs à l'aspect misérable, abritant chacun de 40 à 50 locataires. Une quarantaine de lits sont disposés les uns contre les autres; On distingue sur les lits de vieux pardessus en guise de couvertures que la direction ne fournit pas. Sous les lits, des matelas défoncés, des paillasses, destinés aux clandestins ", hébergés à la dernière heure, Personne ne sait combien ils sont là exactement: 40 en principe, mais plus souvent une soixantaine, entassés dans un espace trop restreint. Les meubles: tables, armoires, tabourets, sont absents, faute de place. À défaut, on plie soigneusement les habits du dimanche dans de petites valises reléguées dans un coin. Les locataires de ce dortoir n'ont pas encore la jouissance d'un réfectoire commun, mais ils ont obtenu de ne plus manger à la cantine. Aussi distingue-t-on dans la pièce de petits réchauds dont le fonctionnement a noirci un peu plus les murs et accentué l'humidité. L’équipement (douches, bouches d’eau, W-C), commun à plusieurs dortoirs, est insuffisant pour le nombre élevé de locataires. Dans toutes les usines sidérurgiques de la vallée de la Fensch et de l'Orne, les dortoirs de 40 à 50 locataires algériens sont plus fréquents que les chambres à quatre. Dans tous les cas, sauf un, ils sont isolés de l'habitat européen et ne reçoivent que des locataires musulmans. L'interdiction de pénétrer, faite à tout visiteur démuni de laissez-passer, est générale.
Un nombre infime de familles a pu obtenir un logement familial (20 environ pour 5000 sidérurgistes algériens, soit 0,4 %), Les immigrés algériens comparent avec amertume leur situation à celle des ouvriers étrangers (Italiens, Sarrois, Allemands) qui sont assurés, après un dé!ai variant, suivant les entreprises, de deux à cinq ans, d'obtenir un logement individuel familial. Une seule usine, la S.M.K., prévoit l'accession à la copropriété pour toutes les familles de ses ouvriers, y compris celles des ouvriers musulmans. Une autre discrimination concernant l'habitat est faite par une grande usine: tout ouvrier marié reçoit, en attendant d'avoir un logement familial, une prime de séparation de 18 000 F par mois; les Algériens sont totalement exclus de cet avantage.
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La structure de l’immigration algérienne en Moselle révèle à l’enquêteur l’aspect colonial d’une situation sur laquelle bien des auteurs ont attiré l’attention. Le rapport Laroque et Ollive insistait sur l’encadrement militaire dont fut l’objet à son origine, l’immigration algérienne en Moselle.Plus tard, étudiant la création de services sociaux destinés aux algériens dès 1925, un autre auteur regrette la « confusion au départ du policier et du social ». La situation n’a pas changé depuis même si l’étiquette des services chargés des immigrés algériens s’est modifiée. On peut même dire qu’elle s’est aggravée en Moselle depuis les évènements d’Afrique du Nord.
À la situation d’immigrés loin de leur pays d’origine qui isole déjà moralement ces travailleurs s’ajoute pour les Algériens une situation d’immigrés coloniaux, caractérisée avant tout par une grande dépendance vis à vis de l’emploi et du logement, une surveillance constante de leur vie quotidienne, rendue possible par la ségrégation de l’habitat. La dépendance de l’emploi s’aggrave avec l’absence quasi totale de qualification professionnelle. Les employeurs refusent d’ailleurs d’accepter les Algériens dans leurs centres d’apprentissage….On ne saurait mettre sur le compte de l’instabilité leur refus d’embaucher des immigrés algériens pourvus du certificat d’étude ou de quelque instruction…
L’encadrement des travailleurs Nord-africains et la discipline qui en est la condition sont de nature à susciter une réaction psychologique chez ceux-ci. ...»
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* Ces baraquements ont servi à cantonner les prisonniers soviétiques lors de la dernière guerre mondiale.
Andrée Michel
Thèse publiée en 1956
dans les « Annales de Géographie»
bulletin de l’Institut de Géographie
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