Abdallah Badis

Comédien - Metteur en scène - Cinéaste

mardi 3 janvier 2006

Et le monde s’est mis à changer

Les vieilles usines ne tournent plus.


Partout les traces de l’activité « sale » sont gommées.
On plante des rangs d’arbres le long des routes et le voyageur peut aujourd’hui traverser une grande partie de ce qui a été pendant un siècle un « Far West » français sans soupçonner le passé de cette région.
En lieu et place des cathédrales industrielles, on a bâti des complexes de loisir, station thermale, zoo, casino, Schtroumpfland. Sur les pentes d’un crassier, on vient d’inaugurer une piste de ski couverte.
On nage en plein rêve incongru et payant.

À Homécourt, le portier Sud de l’usine donnait sur l’Avenue de la République. À l’autre extrémité de celle-ci, peu avant le château du directeur qui la surplombe, se trouve la gare qui a vu depuis un siècle arriver toutes les vagues successives d’immigration. Les quartiers de la ville sont disposés tout autour de son usine. Elle était le ciment de toute la vie sociale communale. Convois de minerais, fumées, bâtiments industriels, crassiers, l’usine était omniprésente. Elle est aujourd’hui encore dans les têtes et laisse un grand trou de mémoire dans le paysage..
Construite à la fin du XIXe siècle à proximité de la gare, l’imposante Maison des Ouvriers est un des rares bâtiments qui témoignent encore d’une époque révolue. Homécourt a perdu la moitié de ses habitants. De l’usine, il ne reste plus rien et le cœur de la commune est un immense terrain vague.

Tôt le matin, les rues sont désertes. Seuls quelques vieux Arabes les arpentent. Ils aiment être dehors, c'est du moins ce qu'on dit!
Ceux-là mêmes qui ont fait venir leur famille, ont gardé les habitudes des hommes seuls qu'ils étaient à leur arrivée en France. Ils se retrouvent entre eux dans la rue, au café, au P.M.U. Ils vont à leur jardin qui est grand comme un champ. Ils vont au marché et quand leurs étals repliés, les marchands sont repartis et qu'on nettoie la place, les pères disparaissent du paysage. C'est l'après midi et les jeunes battent le pavé. Ils investissent la rue et les cafés. Ils peuvent traîner, boire, faire les mille et un petits commerces au pied des immeubles, et les filles fumer des cigarettes sans risquer de croiser le regard des pères. Ces derniers qui n’ont jamais voulu faire de vagues se sont mis à l’abri des regards dans la "maison de quartier". À l'intérieur du local associatif, c'est très calme, on joue aux dominos, à la « ronda ». On parle peu. Il flotte la même odeur de café "à la turque" que dans les chambrées des foyers d'autrefois.
Comme s'ils parcouraient des espaces parallèles, pères et fils ne se croisent pas. Les pères sont d’étranges icônes pour les fils et les enfants des sortes de mutants "irraisonnables" pour leur père. Quand ils arrivent à cohabiter, c'est qu’une mère maintient le lien.
Côte à côte, silence pour silence, énigme pour énigme.

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