Note d’intention.
« Tous les chemins sont circulaires et le parcours entrepris ne conduit jamais qu’à soi-même. »
Ibn Arabi
J’aimerais être français originaire d’un pays comme un autre, mais en France, l’Algérie n’est pas un pays comme un autre. J’y suis né, dans la même maison que mon père et mon grand-père, quelques bâtisses en torchis situées au pied d’une colline que domine un ancien fortin militaire. De ce poste, l’armée française surveillait le moindre mouvement aux abords de l’oued Kiss en contrebas qui fait frontière avec le Maroc. J’y suis né du temps où l’Algérie c’était la France. Mes parents y sont retournés définitivement il y a bien longtemps. Leurs corps sont là-bas, à l’étranger, et je reste avec l’idée qu’il y a quelque chose à recoudre, qu’il y a unehistoire d’ici- là-bas à raconter, non pas pour faire quelque leçon que ce soit mais pour éclairer. Le cinéma est une affaire de lumière.
Aujourd’hui la France semble être entrée dans une phase d’amnésie et de déni qui lui interdit de penser les conséquences de la perte de sa grandeur impériale. Nous, français d’origine algérienne, sommes les enfantsd’un Empire longtemps magnifié par la France. Nous sommes, comme l’a écrit Gramsci, le produit d’un processus historique qui a laissé en nous une infinité de traces reçues sans bénéfice d’inventaire. Le Chemin Noir, mon premier long-métrage, relevait déjà de cet inventaire.
En puisant à nouveau pour Le fils étranger au plus profond de ce qui me fait algérien et français, je creuse le même sillon tracé par mon film précédent, une voie cinématographique en bordure du champ politique. Jevoudrais qu’à nouveau, le cinéma s’empare d’éléments de l’Histoire, qu’il les mêle au réel et à la fiction pour raconter une histoire qui nous parle aujourd’hui. Pour un exilé volontaire ou forcé, le voyage au pays de naissance n'est pas un déplacement des plus simples, ce n'est pas du tourisme; il lui faut s'arracher pour traverser. J'ai des amis marocains, grecs, turcs, portugais, syriens, et autres... pour qui c'est de même. L’Algérie dans Le fils étranger sera hantée par la France. Ce sera d’une certaine manière un autre côté du miroir, comme un écho de la France que l’Algérie hantait dans mon premier long-métrage; je parcourais alors des territoires familiers, les lieux de mon enfance dans les vallées sidérurgiques de Moselle.
Le film qui s’écrit aujourd’hui laissera davantage place à l’inconnu, à la découverte avec ce que cela peut avoir de déroutant, mais aussi de bouleversant. Il conjuguera la réalité algérienne d’aujourd’hui avec un dialogue intérieur avec le passé et aussi avec des irruptions de l’Histoire algérienne que révèleront des images d'archives. Les réminiscences intimes se télescoperont avec le réel qui s'offre. La quête du fils étranger fera surgir des questions, celles qui m'habitent maintenant que j'ai de grands enfants et que je sais qu'ils n'ont presque pas connu leurs grands parents algériens et si peu l'Algérie. Pendant des années, je n'ai fait que reporter et reporter encore, avec les meilleures raisons, on en trouve toujours,le moment de faire une visite au pays natal, à ma mère, mon père, aux frères et sœurs de là-bas. Pourquoi? Je ne saurais le dire.
En 1987, je suis retourné visiter mes parents en Algérie après une parenthèse de quinze ans sans les voir. Ils n'étaient pas prévenus de ce voyage. Mokhtar, l’un de mes frères d'Algérie m'a prêté sa voiture pour aller d'Oran jusque chez eux. Quand ma mère a vu la 204 Peugeot s'arrêter devant sa maison, elle a pensé que c'était son fils Mokhtar qui venait chez elle, puis me voyant, elle ne m'a pas reconnu et avant de dire mon prénom - quinze années d'absence, c'est long! - elle a dit l'un après l'autre les prénoms de mes trois autres frères. Et quand elle a dit le mien, il s'est passé entre elle et moi ce que seul le cinéma peut rendre : cette seconde qui dure et dure et dure ... une éternité. Et pourtant, j'étais attendu puisque mes sœurs et ma mère m'ont révélé que la veille de ce jour, une jeune fille était venue demander de mes nouvelles. Alors que j'étais en pleine mer Méditerranée, quelqu'un que je ne connaissais pas savait que j'arrivais. Cette jeune fille, on la nomme « l'orpheline » dans la région de M'Sirda. Personne ne sait vraiment d'où elle vient. On lui donne à manger quand elle frappe à la porte, on écoute le peu qu’elle dit et on ne sait où elle est partie quand soudain elle disparaît. On dit aussi
qu'on la reconnaît à sa main droite qui a six doigts. Mon court séjour d’alors en Algérie s’est déroulé entièrement sous le signe du merveilleux, à fleur de peau. J’étais dans la lumière de l’île de naissance où on dit « Que Dieu garde ton ombre. »
Que sais-je du pays où je suis né ? Que sait du pays de ses parents un Algérien de France ? Franco-Algériens mais aussi Algériens d’Algérie, nous sommes tous comme perdus dans un labyrinthe. Qu’est-ce qu’être Algérien ? D’où venons-nous ? L’histoire de l’Algérie a été masquée, faussée, piétinée par la colonisation. Elle a ensuite été expurgée par le Pouvoir en Algérie algérienne et mise sous un gros caillou. Comme Thésée qui devait soulever la roche sous laquelle se trouvaient sandales en or et glaive qui lui permettraient de se faire reconnaître, nous devons remettre en lumière notre héritage pour pouvoir nous envisager un avenir. Ce que nous savons est un grand tissu plein de trous. C’est ce voile déchiré que Le fils étranger voudrait recoudre, ces grands pans de vide, ces trous de mémoire entre France et Algérie que le film veut visiter. J’ai retrouvé des photos d’un campement de soldats de Lyautey, à deux pas de là où je suis né. Parmi cette population que le futur Maréchal a rassemblée et à qui il s’est adressé en 1902, il y avait mes aïeux. Peut-être est-ce eux, habillés comme les cavaliers de l’Emir Abdelkader qui à cheval longent l’oued Kiss sur une autre photo prise à l’aube du XXème siècle.
Bien autre chose qu’un film de scénario, Le fils étranger est un film de sensations, il mêle de l’intime, du social, de l’historique, du poétique de façon impressionniste. Il imbriquera réel, archives et onirique dans un même fil narratif. Les mots seront rares et le rythme calme.
Le fil conducteur est un personnage de fiction, Omar, c’est lui le voyageur sans bagages. À suivre son parcours erratique, le spectateur pourrait être aussi perdu que le personnage, mais la voix-off d’Omar en contrepoint de celle de sa sœur Fatima dira des réminiscences, de petites choses implicites qui seront autant de clés de compréhension de l’histoire familiale de cet homme, de ce que peut-être il trouvera en Algérie. On apprendra que Omar n’est pas revenu au pays natal depuis deux décennies, qu’il doute même de savoir parler encore l’arabe algérien, qu’il a reçu la nouvelle de la mort de sa mère par le téléphone en France et que cela ne l’a malgré tout pas décidé à faire le pas, à briser ce mur invisible qui le sépare de l’Algérie. Omar ne sait si son père le reconnaîtra, pas plus qu’il ne sait s’il le reconnaîtra lui-même. Il se souvient de ce que lui avait dit le vieil homme de passage en France, il y a bien longtemps : « A te voir dans la rue, les gens pourraient penser que tu es trop Français pour être mon fils. Mais ta mère et moi savons que tu n’es pas un gaouri . Tu es un Arabe bien sûr… Tu es notre fils... et pourtant ... ». C’est sans doute ce « et pourtant » comme un « tu es mais tu n’es pas » qui occupe l’esprit de Omar alors qu’il chemine à la recherche de … Mais que cherche-t-il ? La maison natale bien sûr, tout semble y mener. Mais est-ce vraiment cela ? Est-ce son père ou sa sœur qu’Omar vient voir en chair et en os ?
Cet étrange voyage, ne serait-ce pas la seule manière pour lui de regagner sa part algérienne, de redevenir un « enfant du pays »? Le film sera concret, même si parfois le spectateur verra des choses qui pourraient s’apparenter à des « apparitions ». Nous nous serons simplement comme glissés dans la tête de Omar, cet homme dont nous suivons
le cheminement, pour deviner ce que son visage ne peut exprimer, ce trouble que provoque en lui l’acte de marcher sur la terre où il est né, de baigner dans la langue que tout petit, on lui a glissé à l’oreille. Fatima, sa sœur l’aura fait revenir en Algérie comme par enchantement et Amina, une jeune fille providentielle qui semble sortie d’un conte, sera là pour le guider et parfois l’accompagner dans son avancée. Elle est comme les yeux de Fatima, cette sœur qu’on ne verra qu’à la toute fin du film. Mais cette sœur est-elle vivante ?
L’Algérie est le personnage principal du «Fils étranger». Malgré la longue histoire qui la lie à la France, elle reste dans l’imaginaire du spectateur français un territoire obscur avec de-ci de-là en filigrane, un chameau, la silhouette d’un berbère, un homme bleu, une rose des sables, un islamiste égorgeur… Alors qu’on pense ne plus pouvoir trouver de terra incognita, cet espace algérien qui devrait être facilement appréhendable devient de plus en plus une zone d’ombre pour notre compréhension.
L’Algérie est un lieu de conte. L’espace y est « habité ». La magicienne Circé était dans ces paysages, Hérodote les a décrits, Ulysse y a marché, le géant Atlas y est devenu montagne. Pour Omar, c’est vertigineux d’être là. Il n’a que quelques bribes de souvenirs d’enfance. Il est sur une terre qui n'a existé jusqu'alors que dans sa tête, un territoire que l'absence et la distance ont mythifié et rendu un peu effrayant. Il lui faudra faire concorder pays imaginaire et pays réel pour pouvoir embrasser langue, couleurs, rythme, rituels, toutes ces choses qu’il connaît par cœur sans les connaître du tout, ces vieilles choses de bien avant lui qui le traversent.
En déroulant cette histoire dont l’enjeu est la question du « territoire », je cherche à embrasser avec tous les moyens du cinéma et avec le plus de sensibilité possible la complexité des liens entre France et Algérie. Et pour cela, c’est une forme singulière ni vraiment documentaire, ni vraiment fiction qu’il m’intéresse de trouver.
Dans le synopsis qui suit et qui ne peut qu’être approximatif, j’espère que les mots ne rendront pas trop lisses les surfaces troubles que je veux explorer et qu’ils ne limiteront pas le sens à ce qu’ils disent. À tout instant je suis dominé par la pensée qu’il y a là, dans Le fils étranger bien plus qu’une aventure personnelle. Et si j’ai le désir de cette immersion dans le pays où je suis né, c’est moins pour traiter un sujet que pour tenter de saisir ce que la recherche de l’étranger en soi peut nous révéler de nous-mêmes.
Aujourd’hui la France semble être entrée dans une phase d’amnésie et de déni qui lui interdit de penser les conséquences de la perte de sa grandeur impériale. Nous, français d’origine algérienne, sommes les enfantsd’un Empire longtemps magnifié par la France. Nous sommes, comme l’a écrit Gramsci, le produit d’un processus historique qui a laissé en nous une infinité de traces reçues sans bénéfice d’inventaire. Le Chemin Noir, mon premier long-métrage, relevait déjà de cet inventaire.
En puisant à nouveau pour Le fils étranger au plus profond de ce qui me fait algérien et français, je creuse le même sillon tracé par mon film précédent, une voie cinématographique en bordure du champ politique. Jevoudrais qu’à nouveau, le cinéma s’empare d’éléments de l’Histoire, qu’il les mêle au réel et à la fiction pour raconter une histoire qui nous parle aujourd’hui. Pour un exilé volontaire ou forcé, le voyage au pays de naissance n'est pas un déplacement des plus simples, ce n'est pas du tourisme; il lui faut s'arracher pour traverser. J'ai des amis marocains, grecs, turcs, portugais, syriens, et autres... pour qui c'est de même. L’Algérie dans Le fils étranger sera hantée par la France. Ce sera d’une certaine manière un autre côté du miroir, comme un écho de la France que l’Algérie hantait dans mon premier long-métrage; je parcourais alors des territoires familiers, les lieux de mon enfance dans les vallées sidérurgiques de Moselle.
Le film qui s’écrit aujourd’hui laissera davantage place à l’inconnu, à la découverte avec ce que cela peut avoir de déroutant, mais aussi de bouleversant. Il conjuguera la réalité algérienne d’aujourd’hui avec un dialogue intérieur avec le passé et aussi avec des irruptions de l’Histoire algérienne que révèleront des images d'archives. Les réminiscences intimes se télescoperont avec le réel qui s'offre. La quête du fils étranger fera surgir des questions, celles qui m'habitent maintenant que j'ai de grands enfants et que je sais qu'ils n'ont presque pas connu leurs grands parents algériens et si peu l'Algérie. Pendant des années, je n'ai fait que reporter et reporter encore, avec les meilleures raisons, on en trouve toujours,le moment de faire une visite au pays natal, à ma mère, mon père, aux frères et sœurs de là-bas. Pourquoi? Je ne saurais le dire.
En 1987, je suis retourné visiter mes parents en Algérie après une parenthèse de quinze ans sans les voir. Ils n'étaient pas prévenus de ce voyage. Mokhtar, l’un de mes frères d'Algérie m'a prêté sa voiture pour aller d'Oran jusque chez eux. Quand ma mère a vu la 204 Peugeot s'arrêter devant sa maison, elle a pensé que c'était son fils Mokhtar qui venait chez elle, puis me voyant, elle ne m'a pas reconnu et avant de dire mon prénom - quinze années d'absence, c'est long! - elle a dit l'un après l'autre les prénoms de mes trois autres frères. Et quand elle a dit le mien, il s'est passé entre elle et moi ce que seul le cinéma peut rendre : cette seconde qui dure et dure et dure ... une éternité. Et pourtant, j'étais attendu puisque mes sœurs et ma mère m'ont révélé que la veille de ce jour, une jeune fille était venue demander de mes nouvelles. Alors que j'étais en pleine mer Méditerranée, quelqu'un que je ne connaissais pas savait que j'arrivais. Cette jeune fille, on la nomme « l'orpheline » dans la région de M'Sirda. Personne ne sait vraiment d'où elle vient. On lui donne à manger quand elle frappe à la porte, on écoute le peu qu’elle dit et on ne sait où elle est partie quand soudain elle disparaît. On dit aussi
qu'on la reconnaît à sa main droite qui a six doigts. Mon court séjour d’alors en Algérie s’est déroulé entièrement sous le signe du merveilleux, à fleur de peau. J’étais dans la lumière de l’île de naissance où on dit « Que Dieu garde ton ombre. »
Que sais-je du pays où je suis né ? Que sait du pays de ses parents un Algérien de France ? Franco-Algériens mais aussi Algériens d’Algérie, nous sommes tous comme perdus dans un labyrinthe. Qu’est-ce qu’être Algérien ? D’où venons-nous ? L’histoire de l’Algérie a été masquée, faussée, piétinée par la colonisation. Elle a ensuite été expurgée par le Pouvoir en Algérie algérienne et mise sous un gros caillou. Comme Thésée qui devait soulever la roche sous laquelle se trouvaient sandales en or et glaive qui lui permettraient de se faire reconnaître, nous devons remettre en lumière notre héritage pour pouvoir nous envisager un avenir. Ce que nous savons est un grand tissu plein de trous. C’est ce voile déchiré que Le fils étranger voudrait recoudre, ces grands pans de vide, ces trous de mémoire entre France et Algérie que le film veut visiter. J’ai retrouvé des photos d’un campement de soldats de Lyautey, à deux pas de là où je suis né. Parmi cette population que le futur Maréchal a rassemblée et à qui il s’est adressé en 1902, il y avait mes aïeux. Peut-être est-ce eux, habillés comme les cavaliers de l’Emir Abdelkader qui à cheval longent l’oued Kiss sur une autre photo prise à l’aube du XXème siècle.
Bien autre chose qu’un film de scénario, Le fils étranger est un film de sensations, il mêle de l’intime, du social, de l’historique, du poétique de façon impressionniste. Il imbriquera réel, archives et onirique dans un même fil narratif. Les mots seront rares et le rythme calme.
Le fil conducteur est un personnage de fiction, Omar, c’est lui le voyageur sans bagages. À suivre son parcours erratique, le spectateur pourrait être aussi perdu que le personnage, mais la voix-off d’Omar en contrepoint de celle de sa sœur Fatima dira des réminiscences, de petites choses implicites qui seront autant de clés de compréhension de l’histoire familiale de cet homme, de ce que peut-être il trouvera en Algérie. On apprendra que Omar n’est pas revenu au pays natal depuis deux décennies, qu’il doute même de savoir parler encore l’arabe algérien, qu’il a reçu la nouvelle de la mort de sa mère par le téléphone en France et que cela ne l’a malgré tout pas décidé à faire le pas, à briser ce mur invisible qui le sépare de l’Algérie. Omar ne sait si son père le reconnaîtra, pas plus qu’il ne sait s’il le reconnaîtra lui-même. Il se souvient de ce que lui avait dit le vieil homme de passage en France, il y a bien longtemps : « A te voir dans la rue, les gens pourraient penser que tu es trop Français pour être mon fils. Mais ta mère et moi savons que tu n’es pas un gaouri . Tu es un Arabe bien sûr… Tu es notre fils... et pourtant ... ». C’est sans doute ce « et pourtant » comme un « tu es mais tu n’es pas » qui occupe l’esprit de Omar alors qu’il chemine à la recherche de … Mais que cherche-t-il ? La maison natale bien sûr, tout semble y mener. Mais est-ce vraiment cela ? Est-ce son père ou sa sœur qu’Omar vient voir en chair et en os ?
Cet étrange voyage, ne serait-ce pas la seule manière pour lui de regagner sa part algérienne, de redevenir un « enfant du pays »? Le film sera concret, même si parfois le spectateur verra des choses qui pourraient s’apparenter à des « apparitions ». Nous nous serons simplement comme glissés dans la tête de Omar, cet homme dont nous suivons
le cheminement, pour deviner ce que son visage ne peut exprimer, ce trouble que provoque en lui l’acte de marcher sur la terre où il est né, de baigner dans la langue que tout petit, on lui a glissé à l’oreille. Fatima, sa sœur l’aura fait revenir en Algérie comme par enchantement et Amina, une jeune fille providentielle qui semble sortie d’un conte, sera là pour le guider et parfois l’accompagner dans son avancée. Elle est comme les yeux de Fatima, cette sœur qu’on ne verra qu’à la toute fin du film. Mais cette sœur est-elle vivante ?
L’Algérie est le personnage principal du «Fils étranger». Malgré la longue histoire qui la lie à la France, elle reste dans l’imaginaire du spectateur français un territoire obscur avec de-ci de-là en filigrane, un chameau, la silhouette d’un berbère, un homme bleu, une rose des sables, un islamiste égorgeur… Alors qu’on pense ne plus pouvoir trouver de terra incognita, cet espace algérien qui devrait être facilement appréhendable devient de plus en plus une zone d’ombre pour notre compréhension.
L’Algérie est un lieu de conte. L’espace y est « habité ». La magicienne Circé était dans ces paysages, Hérodote les a décrits, Ulysse y a marché, le géant Atlas y est devenu montagne. Pour Omar, c’est vertigineux d’être là. Il n’a que quelques bribes de souvenirs d’enfance. Il est sur une terre qui n'a existé jusqu'alors que dans sa tête, un territoire que l'absence et la distance ont mythifié et rendu un peu effrayant. Il lui faudra faire concorder pays imaginaire et pays réel pour pouvoir embrasser langue, couleurs, rythme, rituels, toutes ces choses qu’il connaît par cœur sans les connaître du tout, ces vieilles choses de bien avant lui qui le traversent.
En déroulant cette histoire dont l’enjeu est la question du « territoire », je cherche à embrasser avec tous les moyens du cinéma et avec le plus de sensibilité possible la complexité des liens entre France et Algérie. Et pour cela, c’est une forme singulière ni vraiment documentaire, ni vraiment fiction qu’il m’intéresse de trouver.
Dans le synopsis qui suit et qui ne peut qu’être approximatif, j’espère que les mots ne rendront pas trop lisses les surfaces troubles que je veux explorer et qu’ils ne limiteront pas le sens à ce qu’ils disent. À tout instant je suis dominé par la pensée qu’il y a là, dans Le fils étranger bien plus qu’une aventure personnelle. Et si j’ai le désir de cette immersion dans le pays où je suis né, c’est moins pour traiter un sujet que pour tenter de saisir ce que la recherche de l’étranger en soi peut nous révéler de nous-mêmes.
Le Fils Etranger raconté en quelques mots.
Nous sommes en Algérie. Sur l’image d’un cimetière désert, on entend une voix de femme, douce, tremblante. Elle évoque un moment douloureux de son enfance en France, un moment qui ressemble à un cauchemar dont l’a libéré autrefois Omar, son frère. À peine a-t-elle nommé celui-ci qu’on voit la mer sur laquelle pointe la silhouette d’un ferry. Sur le ponton un homme, c’est Omar. Il regarde l’horizon et semble entendre la voix. Sa sœur l’a “appelé”, il arrive, elle sait qu’il va la libérer. Omar, la cinquantaine, va remettre le pied sur le sol algérien après une très longue absence.
Dans le port d’Oran où tout lui semble étrange et pourtant si familier, une jeune fille se présente à lui, elle le reconnaît. Il a à peine le temps de la voir qu’elle a disparu.
Hors la ville, un chemin semble tracé pour lui, il s’avèrera tortueux. Omar avance à pied et sans aucun bagage, il va se perdre entre vrai et merveilleux dans les paysages algériens dont il n’a aucun souvenir, il débusquera des nuées d’insectes colorés vifs et grands comme des oiseaux. Même les animaux seront là à guetter son passage. Mais dans cette nature qui est verdoyante, lumineuse et qui semble vierge, le passé du pays est là, qui pèse.
La terre algérienne accueille son fils et produit chez lui des rêves. Comme une femme, une mère, elle se dévoile à lui : « regarde ces enfants que j’ai élevés et nourris, ces arbres, ces champs ces collines qui t’ont vu naître, regarde ces morts que je porte. Il y a parmi eux beaucoup de jeunes gens. Tu avais disparu et je t’ai rêvé mort en habit de maquisard comme eux. Regarde ces barbelés dont l’armée a recouvert les terres de tes aïeux et les a forcés à l’exil. Regarde cet enfant à qui l’explosion d’une mine anti personnelle a fait perdre l’esprit. Regarde ces animaux paisibles et va vers ces rencontres que je t’offre…»
Comme sortie d’un conte, Amina, la jeune fille du port, lui réapparaîtra posée ici et là comme une image sur la terre rouge. Elle est son guide et sa protection. Les temps se mêleront. Omar se perdra, s’abandonnera, il retrouvera la trace des cavaliers de l'Emir Abdelkader, de Lyautey aussi ; il marchera sur les collines où sont morts des combattants algériens de la guerre d’indépendance, il sera pris dans un port pour un clandestin qui veut s'embarquer dans la soute d'un de ces cargos face à lui pour fuir l'Algérie à tout prix.
La voix de la sœur l’accompagnera en égrenant de-ci de-là les mots qui disent la douleur d'un pays perdu pour elle, la France. Omar arpentera sa terre de naissance comme dans un rêve éveillé. On lui parlera du pays vidé de ses hommes, de tous ceux que la France a mangés. Omar devra se laisser porter, se laisser désenvoûter de cette malédiction que tous les exilés portent en eux. Un vieux sage voyant le désarroi dans lequel il est, le prendra sous sa protection dans une zaouia, et c’est l’esprit d’un marabout qui lui enlèvera ce mal que le cheikh nomme le mal de père. Ce n’est qu’après tours et détours qu’Omar trouvera véritablement le contact avec les humains et la chaleur des siens. Il retrouvera sa sœur, son père et aussi un oncle et des cousins. Tous seront réunis dans le petit cimetière de Sidi Amar au bord de l’oued Kiss - le même que nous avons vu au début du film, mais il y aura foule, une nuée d’enfants, d’hommes, de femmes, de chevaux, de la nourriture et des musiciens pour une célébration de l’union des morts et des vivants. Mais Omar de quel côté est-il ?
Son cheval chargé et entravé sur le plateau d’une camionnette, un patriarche partira comme pour l’exil, il regardera une dernière fois les collines, les champs et y verra deux enfants comme sortis d’un conte et qui déclament un poème, une ode à la terre : nous avons été pétris ensemble et nous nous sommes séparés…
Hors la ville, un chemin semble tracé pour lui, il s’avèrera tortueux. Omar avance à pied et sans aucun bagage, il va se perdre entre vrai et merveilleux dans les paysages algériens dont il n’a aucun souvenir, il débusquera des nuées d’insectes colorés vifs et grands comme des oiseaux. Même les animaux seront là à guetter son passage. Mais dans cette nature qui est verdoyante, lumineuse et qui semble vierge, le passé du pays est là, qui pèse.
La terre algérienne accueille son fils et produit chez lui des rêves. Comme une femme, une mère, elle se dévoile à lui : « regarde ces enfants que j’ai élevés et nourris, ces arbres, ces champs ces collines qui t’ont vu naître, regarde ces morts que je porte. Il y a parmi eux beaucoup de jeunes gens. Tu avais disparu et je t’ai rêvé mort en habit de maquisard comme eux. Regarde ces barbelés dont l’armée a recouvert les terres de tes aïeux et les a forcés à l’exil. Regarde cet enfant à qui l’explosion d’une mine anti personnelle a fait perdre l’esprit. Regarde ces animaux paisibles et va vers ces rencontres que je t’offre…»
Comme sortie d’un conte, Amina, la jeune fille du port, lui réapparaîtra posée ici et là comme une image sur la terre rouge. Elle est son guide et sa protection. Les temps se mêleront. Omar se perdra, s’abandonnera, il retrouvera la trace des cavaliers de l'Emir Abdelkader, de Lyautey aussi ; il marchera sur les collines où sont morts des combattants algériens de la guerre d’indépendance, il sera pris dans un port pour un clandestin qui veut s'embarquer dans la soute d'un de ces cargos face à lui pour fuir l'Algérie à tout prix.
La voix de la sœur l’accompagnera en égrenant de-ci de-là les mots qui disent la douleur d'un pays perdu pour elle, la France. Omar arpentera sa terre de naissance comme dans un rêve éveillé. On lui parlera du pays vidé de ses hommes, de tous ceux que la France a mangés. Omar devra se laisser porter, se laisser désenvoûter de cette malédiction que tous les exilés portent en eux. Un vieux sage voyant le désarroi dans lequel il est, le prendra sous sa protection dans une zaouia, et c’est l’esprit d’un marabout qui lui enlèvera ce mal que le cheikh nomme le mal de père. Ce n’est qu’après tours et détours qu’Omar trouvera véritablement le contact avec les humains et la chaleur des siens. Il retrouvera sa sœur, son père et aussi un oncle et des cousins. Tous seront réunis dans le petit cimetière de Sidi Amar au bord de l’oued Kiss - le même que nous avons vu au début du film, mais il y aura foule, une nuée d’enfants, d’hommes, de femmes, de chevaux, de la nourriture et des musiciens pour une célébration de l’union des morts et des vivants. Mais Omar de quel côté est-il ?
Son cheval chargé et entravé sur le plateau d’une camionnette, un patriarche partira comme pour l’exil, il regardera une dernière fois les collines, les champs et y verra deux enfants comme sortis d’un conte et qui déclament un poème, une ode à la terre : nous avons été pétris ensemble et nous nous sommes séparés…
Un retour inattendu de l’Histoire finira de donner un sens à cette traversée.
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